Homme d’État tunisien (Monastir 1903-Monastir 2000).
Militant nationaliste tunisien, Bourguiba fonde en 1934 le Néo-Destour et devient le « Combattant suprême » de la lutte contre l’impérialisme français. Après de longues années d’exil, il obtient l’indépendance de la Tunisie (1956) et fonde la République dont il devient le président en 1957. Prônant la « tunisification » et la laïcisation de la société, il mène une politique d’inspiration socialiste tout en maintenant l’ouverture à l’Occident. Très autoritaire, il amorce pourtant un virage libéral dans les années 1970, mais ne parvient pas à enrayer la crise générale qui affecte le pays dans les années 1980 et qui conduit à sa destitution par l’armée en 1987.
Le militant de l’indépendance tunisienne (1903-1956)
Avocat de formation, Bourguiba est frappé par les contradictions du système colonial français. Militant au parti nationaliste Destour, qu’il trouve bientôt trop timoré, il le quitte en 1934 pour fonder le Néo-Destour, au sein duquel il prône une version laïque et démocratique du nationalisme.
Orateur charismatique, infatigable combattant de la cause de l’indépendance, il passe l’essentiel des années 1938 à 1954 en exil, entre la France, l’Italie et l’Égypte, ce qui ne l’empêche pas de devenir l’interlocuteur incontournable de la métropole. En 1955-1956, après avoir triomphé des oppositions au sein de son parti, il arrache à la France l’autonomie, puis l’indépendance, de la Tunisie et obtient en 1957 la destitution du bey pour proclamer la république, dont il prend la présidence.
Le président de la république tunisienne (1957-1987)
Promoteur d’un régime personnel, Bourguiba impose à la Tunisie une laïcisation autoritaire et une étatisation de l’économie. Mais ses réformes d’inspiration socialiste (planification, coopératives agricoles, extension du secteur public, développement des industries légères) échouent en grande partie, du fait de la trop forte concurrence étrangère et d’une mauvaise organisation interne. Sa diplomatie se démarque de celle des autres pays arabes par son ouverture à l’Occident et son refus de l’intransigeance face à Israël.
Réélu à deux reprises à la tête de l’État, Bourguiba modifie la Constitution pour se faire reconnaître président à vie en 1974, alors que sa santé décline. Il ménage un prudent virage libéral, mais ne parvient pas à faire face au problème de la croissance démographique et se heurte à une opposition persistante, en particulier syndicale, qui débouche sur la répression de 1978.
Dans les années 1980, le pays s’enfonce dans la crise et, malgré un retour au pluralisme politique, Bourguiba devient de plus en plus impopulaire et doit faire face à la montée de l’islamisme et à de nouvelles émeutes à partir de 1984. Sa destitution en 1987 par le général Ben Ali est accueillie avec soulagement. Il reste en résidence surveillée jusqu’à sa mort en 2000.
1. Le militant de l’indépendance tunisienne (1903-1954)
1.1. Le futur fondateur du Néo-Destour (1903-1934)
Habib Bourguiba est le dernier-né d’une famille nombreuse de la petite bourgeoisie rurale. Son père, sans ressources, doit s’engager dans l’armée et devient officier de la garde du bey. À 8 ans, Habib assiste à la décapitation en place publique de deux opposants au régime. Il fréquente alors le collège Sadiki de Tunis, un foyer de la culture arabe. Puis il s’embarque pour Paris. De ses bonnes études au lycée Carnot, le jeune homme retient la tolérance et le respect de ses professeurs, mais aussi le racisme de l’homme de la rue.
Lorsqu’il rentre en Tunisie en 1927, armé d’une licence de droit et diplômé de sciences politiques, Habib Bourguiba est frappé du décalage entre les principes de la politique coloniale et son application, aggravé par les difficultés économiques du pays. Tout en exerçant sa profession d’avocat, il milite au sein du Destour : ce parti politique, fondé en 1920, revendique principalement une Constitution (dustur en arabe) pour le pays.
Du Destour au Néo-Destour (1927-1934)
Deux influences apparemment contradictoires sont à l’origine de l’engagement de Bourguiba pour la cause de l’émancipation tunisienne : d’une part, l’admiration que porte l’homme à la culture de la patrie des droits de l’homme ; d’autre part, le sentiment de révolte et d’humiliation né de l’occupation française et de son séjour en métropole. Comme d’autres leaders indépendantistes, il ne manque pas de relever la contradiction entre les grands principes diffusés par l’école de la République, parmi lesquels le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et la réalité de la colonisation.
En 1932, Bourguiba crée son propre journal, l’Action tunisienne. Il juge alors les dirigeants du Destour bien trop timorés. C’est pourquoi, deux ans plus tard, avec quelques autres jeunes militants, il jette les bases d’une nouvelle organisation, lors du congrès de Ksar Hellal, près de Monastir : le Néo-Destour est né. Bourguiba en devient le secrétaire général.
1.2. Le chef de parti (1934-1938)
La lutte contre l’impérialisme français
Comme l’indique le nom du journal créé par le nouveau groupe (al-Amal, « l’Action »), les revendications ne sont guère conciliantes envers le pouvoir colonial : le Néo-Destour appelle à la résistance contre l’impérialisme français, jugé responsable de la misère du pays, et réclame l’indépendance de la Tunisie. Bourguiba encourage les manifestations qui dégénèrent en émeutes dans tout le pays. En accord avec les syndicalistes de la CGTT (Confédération générale tunisienne du travail), il appelle au boycott des produits français et lance un mot d’ordre de refus de l’impôt. L’homme commence à cultiver un style oratoire particulier et peaufine le caractère théâtral de ses apparitions.
Cependant, son activité politique inquiète sérieusement les autorités françaises. Sur ordre du résident général, représentant de l’autorité de la métropole sur le protectorat, Bourguiba et une cinquantaine de néo-destouriens sont envoyés en résidence surveillée dès 1934.
Un nationaliste laïque et démocratique
Libéré en mai 1936, il place alors ses espoirs dans le gouvernement du Front populaire qu’il tente de sensibiliser à la cause tunisienne. En vain : l’opinion française n’est pas prête à accepter la souveraineté du pays. De retour en Tunisie, Habib Bourguiba se fait le chantre d’une politique laïque et démocratique, à l’opposé des références islamisantes et arabisantes du Vieux Destour, avec lequel il entre en conflit ouvert.
En avril 1938, des manifestations organisées par le Néo-Destour tournent à l’émeute dans plusieurs villes du pays. Celles-ci sont mises en état de siège, le Néo-Destour, qui compte alors près de 60 000 adhérents, est dissous et ses publications sont suspendues. Habib Bourguiba et les chefs du parti sont à nouveau emprisonnés pour complot contre la sûreté de l’État.
1.3. Les années d’exil du « Combattant suprême » (1938-1954)
Internés au fort Saint-Nicolas de Marseille, Bourguiba et ses compagnons sont libérés par les Allemands en décembre 1942, pour être transférés à Rome. Les forces de l’Axe demandent à Bourguiba de coopérer. Persuadé de la victoire des Alliés, celui-ci refuse et appelle même clandestinement les destouriens à prendre contact avec les forces de la France libre.
En avril 1943, Bourguiba est ramené à Tunis, un mois avant l’entrée des Anglais dans la ville. Il retrouve un Néo-Destour affaibli, dont certains dirigeants n’ont pas hésité à se compromettre avec les forces de l’Axe. Il est lui-même mis en résidence surveillée par les autorités françaises dès la libération de la Tunisie (1943).
De Marseille, via Rome, à Tunis (1938-1945)
En 1945, il décide de quitter la Tunisie et s’embarque clandestinement pour Le Caire (il aurait traversé le désert libyen à pied), où il participe à la naissance du Comité de libération du Maghreb, présidé par Abd el-Krim. Bourguiba mène campagne auprès des États arabes et des pays anglo-saxons, sans grand succès. Il semble que c’est à cette époque qu’il gagne le surnom de « Combattant suprême ».
En échange d’une promesse de retour au calme dans le pays, il obtient la levée de son interdiction de séjour et reçoit un accueil triomphal à Tunis en 1947. Pendant quelques années, il développe un programme plus modéré et les autorités françaises concèdent quelques réformes. Mais en 1952, le nouveau gouvernement dirigé par René Pleven, favorable à une politique de fermeté, nomme le préfet Jean de Hauteclocque à Tunis. Les principaux chefs du Destour sont arrêtés et Bourguiba se retrouve à nouveau en résidence surveillée. La Légion ratisse une partie du pays qui devient le théâtre d’actions terroristes et antiterroristes (émeutes de Bizerte et de Menzel Bourguiba [ex-Ferryville], grève générale à Tunis).
2. Le fondateur de l’État tunisien (1954-1964)
2.1. L’autonomie de la Tunisie
L’autonomie de la Tunisie
Le 31 juillet 1954, Pierre Mendès France effectue un voyage surprise en Tunisie pour dénouer la crise. À Carthage, sa déclaration solennelle ne laisse pas d’ambiguïté :« L’autonomie interne de l’État tunisien est reconnue et proclamée sans arrière-pensée par le gouvernement français. » Cet engagement de la France est le résultat de négociations entre le nouveau président du Conseil et le Néo-Destour (Bourguiba est alors assigné à résidence en France). L’autonomie interne de la Tunisie est reconnue par les accords du 3 juin 1955.
L’opposition au sein du Néo-Destour
Pour le Néo-Destour, l’autonomie interne ne représente qu’une étape. Et une fraction des néo-destouriens prend position contre ces accords : à leur tête, l’avocat Salah Ben Youssef, secrétaire général du Néo-Destour, lance une campagne contre Bourguiba, qu’il accuse d’avoir trahi la cause de l’indépendance. Ce dernier le fait exclure du parti. Salah Ben Youssef contraint à l’exil, Bourguiba sollicite l’appui des forces françaises pour écraser la rébellion des fellagas dans le sud du pays. Cette victoire montre le réalisme politique de Bourguiba, qui fait ainsi triompher sa stratégie des « étapes » face aux tenants du « tout ou rien ».
2.2. Naissance de la République tunisienne (1956-1957)
Décembre 1955 : sous la pression du Néo-Destour, le bey Lamine Ier décide la convocation d’une Assemblée nationale constituante. Grâce à une loi électorale qui enlève toute chance à ses rivaux, le Néo-Destour et ses alliés (associés pour l’occasion sous le nom de « liste d’Union nationale ») remportent tous les sièges. Le cabinet est exclusivement composé de destouriens. Pour la première fois, Bourguiba accède au pouvoir. Mais le nouveau leader de la Tunisie, qui n’entend pas gouverner dans l’ombre du bey, le fait déposer en juillet 1957 sous prétexte de complicité avec Ben Youssef. Soumise, l’Assemblée vote la déchéance de la dynastie à l’unanimité et Bourguiba devient le chef de l’État à titre provisoire, tout en conservant ses prérogatives de Premier ministre. Le 20 mars 1956, la France a officiellement reconnu l’indépendance de la Tunisie.
2.3. La mise en place du nouveau régime (1956-1964)
« Tunisification »
L’avènement de la nouvelle République marque le signal du départ pour les fonctionnaires, les ingénieurs français et les Européens de Tunisie. Les inscriptions en français disparaissent des bâtiments publics, les rues sont rebaptisées (à Tunis, l’avenue Jules-Ferry devient avenue Bourguiba). Une monnaie nationale est créée, le dinar. À peu près tous les secteurs de l’économie sont étatisés ; certaines branches de l’industrie sont contrôlées par l’État et une société nationale d’investissements est créée. La nationalisation des transports (1959-1960) complète cet ensemble de mesures et un plan triennal (1962-1964) prévoit la mise en place de l’agriculture nationale par la récupération des quelque 50 000 hectares de terres coloniales. Cette « tunisification » de l’économie n’est cependant pas complète et l’aide en capitaux surtout français et américains reste importante dans des secteurs comme le pétrole, l’industrie chimique ou les constructions mécaniques.
Laïcisation
L’œuvre de laïcisation du pays, chère au nouveau chef de l’État, est entreprise : ainsi, l’université de la Grande Mosquée al-Zaytuna est réformée et ses annexes provinciales sont transformées en écoles secondaires. La Grande Mosquée est strictement confinée dans ses fonctions de faculté de théologie, et l’enseignement primaire et secondaire est réorganisé. Les juridictions traditionnelles sont supprimées.
Un Code du statut personnel est promulgué, qui bouleverse la conception fondamentaliste de la famille : la polygamie est interdite, le divorce remplace la répudiation de la femme. Le nouveau code introduit le mariage par consentement mutuel. La femme tunisienne bénéficie dorénavant d’un accès au planning familial. Ces avancées sociales – sans équivalent dans la région – propulsent la Tunisie au rang des États modernes.
Un régime présidentialiste
Elles n’empêchent pas l’instauration d’un pouvoir personnel. La Constitution du 1er juin 1959 fonde un régime présidentialiste : le pouvoir exécutif est confié au président de la République, élu pour cinq ans au suffrage universel, qui choisit les membres de son gouvernement. En novembre 1959, Bourguiba, seul candidat, obtient 99,8 % des voix. En novembre 1964, il l’emporte avec plus de 96 % des suffrages.
Le pays est encadré par les organisations du Néo-Destour (qui deviendra en 1964 le parti socialiste destourien [PSD]). L’« État-parti » désigne les députés qui seront élus sur des listes uniques, contrôle les organisations de travailleurs, d’étudiants (Union des étudiants), de commerçants, d’industriels, de femmes (Union des femmes). L’armée, assignée aux tâches de maintien de l’ordre, mate les émeutes qui éclatent dans le pays au gré de la conjoncture économique.
3. La Tunisie de Bourguiba (1969-1987)
3.1. Le socialisme destourien (1964-1969)
Les objectifs du plan quadriennal de 1964
Les réformes économiques entreprises après 1964 mènent la Tunisie sur la voie d’un socialisme d’État. Elles sont inspirées et menées par le ministre de l’Économie Ahmad Ben Salah. Ancien secrétaire général de l’UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens, fondée en 1948), Ben Salah, écarté par Bourguiba en 1960, retrouve les bonnes grâces du président au point de convaincre celui-ci que l’État doit prendre en charge la production et la distribution des biens. Un plan quadriennal est lancé, dont les objectifs sont posés au congrès de Bizerte en octobre 1964.
L’agriculture est organisée en coopératives vaguement inspirées de celles de l’Union soviétique et les fellahs sont transformés en « ouvriers coopérateurs » répartis en équipes de travail. Le secteur public est étendu à la distribution (magasins d’État) et au tourisme (hôtellerie d’État). À défaut des grands complexes industriels souhaités par le président, le pays développe ses industries légères, en particulier le textile et la confection.
Un échec complet
Après quelques années seulement, l’échec du système est patent : les réformes agricoles se heurtent à la résistance puis à la passivité des paysans et entraînent une baisse significative de la production. Les infrastructures du secteur d’État se détériorent, par manque d’entretien et du fait du gaspillage des crédits. Les industries se heurtent à la concurrence des entreprises étrangères et accumulent les déficits tout comme les coopératives agricoles. Quatre ans après le début des réformes, la Tunisie est au bord de la banqueroute. La dette du pays s’élève à 2,5 milliards de francs. La suppression de l’aide française à la suite de la confiscation des terres appartenant à des étrangers, dès le début des réformes, a largement contribué à l’aggravation de la situation financière du pays. Le blocage des salaires, la pénurie chronique des magasins d’État, l’arrestation de « saboteurs » et les rafles effectuées par la police dans les milieux ouvriers et paysans entretiennent l’agitation.
Le 6 septembre 1969, Ben Salah est brutalement démis de ses fonctions. Inculpé de haute trahison, il est jeté en prison et condamné à dix années de travaux forcés.
3.2. Une diplomatie originale
L’ouverture vers l’Occident
Alors même qu’elle intensifie l’effort de planification socialisante et qu’elle fait disparaître les derniers vestiges de la colonisation en obtenant, après une série d’incidents, l’évacuation de la base militaire de Bizerte par les Français en 1963, la Tunisie reste trop dépendante des capitaux de l’Occident pour lui tourner le dos. Bourguiba mène de 1966 à 1968 une tournée diplomatique en vue de resserrer les liens avec la CEE, l’Afrique noire, dans le cadre de la francophonie, le Canada et les États-Unis, ce qui lui vaut les critiques de l’opposition communiste, clandestine depuis 1962, comme de la centrale syndicale UGTT dont le leader, Habib Achour, est arrêté en 1966.
Les tensions avec le monde arabe
Dans le même temps, Bourguiba n’hésite pas à se démarquer du panarabisme et de l’influence exercée sur lui par l’URSS en entrant en conflit avec la République arabe unie de Nasser en 1966 et en se retirant de la Ligue arabe, reprochant aux « pays frères » leur intransigeance à l’encontre d’Israël. Un contentieux l’oppose aussi à la Libye sur la délimitation du plateau continental.
3.3. Les années de remise en question (1969-1978)
L’effacement de Bourguiba
On note pendant ces années un certain effacement du « Combattant suprême » : une première crise cardiaque en 1967 annonce une dégradation de l’état de santé du président qui s’accompagne d’une perte progressive de ses facultés. Réélu pour un troisième mandat en novembre 1969, Bourguiba fait accepter en 1974 la réforme constitutionnelle qui le transforme en président à vie. Pourtant, il délègue de plus en plus les responsabilités politiques, notamment à celui qui est son successeur désigné, Hedi Nouira, un ancien compagnon du Destour, qui cumule la charge de président du Conseil et celle de ministre de l’Économie.
Le tournant libéral
Hedi Nouira, partisan du retour à l’économie de marché, impose un tournant libéral au pays, bien que le discours officiel soit toujours celui du socialisme destourien. Les campagnes sont décollectivisées, ce qui permet une reprise de la production agricole ; la Tunisie s’ouvre aux capitaux étrangers grâce à une politique d’exonérations fiscales ; les entreprises étrangères sont invitées à construire des complexes hôteliers dans le pays.
Le problème démographique
La reprise économique se heurte cependant au problème de l’emploi : face à une croissance démographique importante, le nouveau gouvernement entreprend une difficile politique de limitation des naissances. En mars 1973, l’Office national de planification familiale est créé, à charge de multiplier les campagnes d’information et de diffuser des moyens contraceptifs dans le pays. Malgré le coup de frein ainsi donné à la natalité, l’augmentation de la population se poursuit. D’autre part la situation est aggravée par la fermeture des frontières de la France et de l’Allemagne qui ne veulent plus accueillir les candidats à l’émigration.
L’alerte de 1978
L’opposition persistante de l’UGTT débouche sur la grève générale du 26 janvier 1978, et les émeutes qui secouent les principales villes du pays entraînent un retour à la répression pure et dure : 51 morts et une nouvelle arrestation des dirigeants syndicalistes, dont Habib Achour. La montée de l’islamisme, longtemps bridé, rend la situation d’autant plus grave et se traduit en 1981 par la fondation du MTI (Mouvement de la tendance islamique).
3.4. La crise des années 1980 et le « coup d’État médical » de 1987
Le retour au pluralisme politique
Le 26 février 1980, Hedi Nouira est victime d’un infarctus qui l’éloigne définitivement du pouvoir. Muhammad Mzali, ministre de l’Éducation, assure l’intérim, avant de devenir Premier ministre le 8 novembre 1981, et entame une libéralisation politique, notamment pour faire face à la montée du MTI : les principaux partis d’opposition sont légalisés (le parti communiste, le Mouvement des démocrates socialistes [MDS] et le Mouvement d’unité populaire [MUP]) et peuvent se présenter aux élections de 1981, tandis que l’UGTT retrouve son autonomie.
La crise générale
Cependant, la situation économique se dégrade et l’augmentation du prix des produits céréaliers entraîne de violentes émeutes en 1984. L’année suivante, les pillages et les destructions frappent les grandes villes du pays. Les chars doivent intervenir à Tunis. Bourguiba renvoie Mzali, écarte son propre fils des responsabilités qu’il lui avait confiées et chasse sa femme, la très influente Wassila Ben Ammar, dont on a pu dire qu’elle avait mené jusqu’alors la politique du pays pour le plus grand bénéfice de sa famille.
Mzali est remplacé le 8 juillet 1986 par Rachid Sfar, qui hérite du pouvoir dans une situation dégradée : corruption généralisée de l’administration, clientélisme politique, menace intégriste (en 1986, les attentats ont frappé un autocar de touristes à Tunis, ainsi que plusieurs hôtels du pays). La politique de rigueur de Rachid Sfar est mal acceptée, et ce dernier est chassé par Bourguiba le 2 octobre 1987, au cours d’une violente crise de colère présidentielle.
La destitution de Bourguiba (7 novembre 1987)
Le ministre de l’Intérieur, le général Zine el-Abidine Ben Ali, est appelé au pouvoir pour une période transitoire. Nul ne songe qu’il puisse présenter quelque velléité d’ambition personnelle. Pourtant, Ben Ali sait par les rapports de police que l’opinion, lasse du régime et des intrigues de pouvoir, est favorable au changement. Le 7 novembre 1987, sept médecins sont appelés à constater la déchéance physique et intellectuelle du président. L’examen fait l’objet d’un communiqué officiel. Ben Ali rappelle l’article 57 de la Constitution stipulant qu’en cas d’empêchement absolu du chef de l’État, le Premier ministre est immédiatement investi des fonctions de président de la République.
Le coup d’État, qui s’est effectué sans effusion de sang, ne suscite aucune émotion majeure dans un pays soulagé. À la Chambre, les députés ovationnent le nouveau président et les pays occidentaux se montrent assez favorables au nouveau pouvoir.
Habib Bourguiba est mis à l’écart en résidence surveillée, à Monastir. Il meurt treize années plus tard, le 6 avril 2000.
Larousse
cet Article fait partie de dossier consacré à la décolonisation