Touhami Garnaoui

Jalloul Ayed : L’Apport de la Culture à l’Économie

Dr. Jalloul Ayed

La culture fait généralement référence aux arts et aux autres activités intellectuelles, telles que la littérature, la musique, l’architecture et la philosophie. Par définition, ces caractéristiques découlent de la créativité, de l’imagination et de l’inventivité. Plus une société donnée est dotée de ces réalisations culturelles de haut niveau, plus elle tend à avoir des valeurs esthétiques, un avancement intellectuel et des attributs civilisationnels robustes.

Mais, ce qui nous intéresse plus particulièrement, c’est que la culture est également considérée comme l’incarnation des croyances, valeurs, coutumes, comportements et artefacts partagés qui caractérisent une communauté ou une société. Une société innovante valorise et encourage l’innovation, la créativité et les nouvelles idées et fournit des ressources pour soutenir ces activités. Elle possède une culture qui valorise la créativité, un système éducatif qui incite la pensée critique et les compétences en matière de résolution de problèmes, la tolérance à la prise de risques, la volonté de mobiliser les ressources nécessaires pour soutenir l’innovation, un environnement réglementaire favorable et encourage la collaboration et les partenariats.

Ibn Khaldoun a établi que les civilisations reposent sur trois piliers fondamentaux : la culture, l’éducation et la bonne gouvernance. Parmi ces trois piliers, il considère que la culture, c’est-à-dire l’incarnation des valeurs, des croyances, de la mentalité, des coutumes et des traditions d’une société, est un atout important pour développer les sociétés humaines. Pourtant, malgré la perspicacité d’Ibn Khaldoun quatre siècles auparavant, le rôle de la culture dans le développement économique et social n’a historiquement pas attiré l’attention qu’il mérite de la part des penseurs économiques et des décideurs politiques. Les fondateurs de l’économie moderne n’ont fait que de maigres tentatives pour évaluer le rôle de la culture dans le développement économique et social. Par exemple, dans sa « Théorie des sentiments moraux,” Adam Smith a étudié les facteurs éthiques, philosophiques et psychologiques qui sous-tendent le comportement humain sur ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui les « valeurs culturelles.” De plus, John Stuart Mills soutient dans son essai « l’Utilité de la Religion » que les religions surnaturelles, telles que le christianisme, constituent une contrainte dans la poursuite du bien-être individuel et social. Au lieu de cela, il promeut le concept d’une religion de l’humanité entièrement naturaliste comme une alternative supérieure. Inversement, Max Weber a souligné le rôle des enseignements religieux dans le renforcement de l’éthique du travail de communautés religieuses spécifiques (à savoir les protestants).

En 1991, Daniel Etouga-Manguelle a audacieusement mis la culture au centre de la sagesse pour expliquer l’énorme écart de développement de l’Afrique par rapport à d’autres économies émergentes (comme l’Asie du Sud-Est). Dans cet ouvrage fondateur, « L’Afrique a-t-elle besoin d’un programme d’ajustement culturel ? », Etouga-Manguelle met en évidence les caractéristiques culturelles résistantes au progrès qui semblent être partagées par les pays africains malgré leur grande diversité et pose la question de savoir si l’Afrique aurait besoin d’un programme de réforme fondé sur la culture.

Néanmoins, malgré leur rareté, plusieurs études ont placé la culture au cœur de la réflexion sur le développement. Par exemple, dans “La Richesse et la Pauvreté des Nations”, l’historien de l’économie David Landes déclare que “si nous apprenons quelque chose de l’histoire du développement économique, c’est que la culture fait toute la différence.” Il corrobore, à cet égard, la thèse de Huntington défendue dans son ouvrage fondateur, « La Culture Compte : Comment les Valeurs Façonnent le Progrès Humain.” En outre, dans le cadre des objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, le programme de développement international fait référence à la culture comme un facteur important de progrès social et de développement durable. La cible 11.4 appelle à renforcer les efforts pour protéger et sauvegarder le patrimoine culturel et naturel mondial. 

Cela dit, les caractéristiques culturelles d’une société donnée ne peuvent être transformées que sur de longues périodes. Les responsables politiques doivent donc s’atteler à réduire les traits culturels qui vont à l’encontre du progrès social grâce aux moyens juridiques et réglementaires à leur disposition. Par exemple, les pratiques de corruption, le clientélisme, le copinage, le chauvinisme, le régionalisme et la discrimination à l’égard des femmes sont des caractéristiques culturelles nuisibles classiques qui doivent être combattues par la sensibilisation, la persuasion et, éventuellement, la coercition.

Toutefois, la tâche sera plus ardue lorsqu’il s’agira d’affronter une culture anti-entrepreneuriale et résistante à l’innovation, surtout si elle est profondément ancrée dans la société et même dans les hautes sphères de l’état. Même s’il n’existe pas de panacée unique pour s’attaquer à ce phénomène, quelques stratégies peuvent être envisagées à cet égard. Il s’agit notamment de (i) montrer l’exemple, car le changement est toujours impulsé par le sommet en mettant en avant les bons comportements et les bonnes attitudes, (ii) promouvoir l’apprentissage continu et encourager les réalisations collectives, (iii) célébrer le succès de ceux qui sortent des sentiers battus, et (iv) veiller à ce que la transformation culturelle positive s’amorce dans l’ensemble des services de l’administration et du secteur public, compte tenu de l’effet d’entraînement considérable qu’elle exerce sur le reste de la société.

La contribution de la culture à la création d’une économie compétitive et d’une société dynamique, cohésive et inclusive est primordiale. Elle devrait donc occuper une place prépondérante dans le programme de développement des décideurs, d’autant plus à l’ère de la transformation numérique et de son impact sur la société. La culture, comme moteur de changement positif, joue un rôle essentiel pour préparer une communauté à adopter les nouvelles technologies. Ces dernières peuvent, à leur tour, promouvoir une culture d’ouverture, de partage, de transparence, d’excellence, de créativité, de cohésion sociale et de diffusion des connaissances. Les médias sociaux, par exemple, ont amélioré la créativité et la conscience sociale en renforçant les interactions entre les citoyens et en les aidant à partager un large éventail d’informations.

Comme nous l’avons déjà mentionné, l’amélioration de la culture dans un pays donné est une tâche ardue et persistante. Pourtant, elle doit être réussie pour favoriser l’émergence d’une société cohésive et tournée vers l’avenir. Une société qui œuvre au bien-être de tous les citoyens, qui lutte contre l’exclusion et la marginalisation, qui est ouverte aux autres cultures, qui s’adapte facilement aux innovations, qui promeut un sentiment commun d’appartenance, qui diffuse la confiance et qui offre à ses membres la possibilité d’une mobilité ascendante.

Le rapport de la Banque mondiale sur la Tunisie, intitulé « Révolution inachevée,” affirme à juste titre « qu’assurément, le choix auquel la Tunisie est confrontée n’est pas seulement une question de politique économique. Il s’agit, avant tout, d’une question de société. La Tunisie se trouve à un carrefour de valeurs, de normes et de croyances – elle doit débattre et choisir une vision de la société, qui déterminera ensuite en grande partie les politiques économiques des prochaines décennies.”

La culture est tout aussi primordiale dans la construction d’une économie de la connaissance. Dans une lettre adressée en 2006 au président de la Commission européenne, intitulée « La culture : le Cœur d’une Économie de la Connaissance,” le secrétaire général du Parlement européen de la Culture (PEC) écrit ce qui suit : « La contribution de la culture à la création d’une économie compétitive et d’une société cohésive peut être bien plus profonde qu’il n’y paraît à première vue. Les entreprises, l’éducation, le développement social ainsi que la société civique sont désormais de plus en plus conscients de l’importance de la culture comme stimulant.” Il affirme ensuite que « nous devons développer la capacité d’utiliser la culture comme un outil, une ressource et un cadre pour faire face à la complexité croissante de notre société tout en lui donnant plus de sens.”

Sans une culture qui soutient l’innovation, il peut être difficile pour les individus de proposer de nouvelles idées et pour ces idées de gagner du terrain. Cette culture doit imprégner les plus hauts échelons de l’autorité, car c’est le leadership qui ouvre la voie à la connaissance et à l’innovation. Une culture qui valorise l’innovation est également ouverte au changement et à l’adaptabilité, permettant à la société d’évoluer et de s’améliorer plutôt que de stagner et de languir. Enfin, une culture de l’innovation et de l’exploration doit également être imprégnée tout au long du processus éducatif, dès l’école maternelle.

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