LE NUMERIQUE, UNE REELLE OPPORTUNITE POUR L’INCLUSION DES JEUNES DANS LES REGIONS

La révolution numérique est en train de transformer le monde, facilitant les flux d’informations et la montée en puissance des pays en développement qui sont en mesure de tirer profit de ces nouvelles opportunités. Cette révolution numérique pourrait transformer à son tour la Tunisie et contribuer à son développement national et au rattrapage régional si on s’en donne les moyens du point de vue infrastructure internet et compétences. Ainsi, dans un pays où le système éducatif est défaillant et où les compétences sont faibles ou peu adaptées la seule diffusion des technologies numériques a peu de chances de combler le fossé du savoir, et vice et versa. Pour engranger les dividendes du numérique, et pour qu’ils soient largement partagés entre toutes les franges de la société, la Tunisie doit améliorer son infrastructure internet haut débit et la rendre accessible sur tout le territoire, améliorer considérablement le climat des affaires, révolutionner l’éducation et la formation dès le plus jeune âge, et promouvoir la bonne gouvernance.

L’infrastructure Internet, condition nécessaire mais insuffisante…

Un rapport récent de la Banque mondiale indique qu’internet, les téléphones mobiles et d’autres technologies numériques ont connu une diffusion rapide à travers le monde en développement, mais toutefois, les dividendes escomptés du numérique, à savoir une croissance plus forte, la création de plus d’emplois ainsi que de meilleurs services publics, ne sont pas à la hauteur des attentes. De plus, 60 % de la population mondiale reste exclue d’une économie numérique en constante expansion.

Dans ce contexte, le gouvernement tunisien s’est fixé pour objectif d’équiper tous les foyers tunisiens d’un accès à internet. Ainsi, les 2,7 millions de familles tunisiennes seront connectées à internet haut débit d’ici 4 ans. Certains endroits seront connectés par la fibre, d’autres par des technologies différentes comme la 4G.

Toutefois, l’économie mondiale change rapidement et incorpore toujours plus de nouvelles technologies. L’informatique et le progrès des communications affectent notre façon d’apprendre et de travailler, ainsi que la nature des tâches que nous effectuons, à tel point que la valeur du travail qualifié, complexe et créatif, est critique. Ce qui explique que la croissance économique des pays, en général, et de la Tunisie, en particulier, dépend de plus en plus de la qualité du capital humain – compétences, apprentissages et talents créatifs, ainsi que de la diversité de ses régions et de la valorisation de leurs atouts respectifs.

Les régions, fers de lance potentiel de la Tunisie post-révolution, et appelées à jouer un rôle prédominant en vue de la décentralisation, ne peuvent pas adopter les mêmes solutions standards et en escompter les mêmes résultats, étant donné qu’elles différent les une des autres.

Les pays industrialisés, l’ont bien compris et sont progressivement passé d’un développement régional de type redistributif à un autre basé sur la compétitivité. Ces politiques innovantes font reposer la croissance sur les avantages comparatifs et atouts de la région et inscrivent l’innovation au cœur de son développement.

Les autorités régionales sont sensées identifier les possibilités de transformation. Toutefois, cette recherche de nouveaux atouts régionaux demande la participation du secteur privé et de la société civile pour être effective.

Ensemble nous devons nous mettre d’accord sur une vision par région et une feuille de route stratégique pour encourager l’innovation (en construisant sur les atouts connus et en soutenant les transformations socio-économiques) en impliquant une diversité d’acteurs publics et privés.

De Jemmal à Helsinki…

Jemmal, ville du Sahel tunisien, rattachée administrativement au gouvernorat de Monastir, est le chef lieu d’une délégation de plus de 55.000 habitants. Elle a connu son développement industriel avec la fabrication de briques, déjà à l’époque du protectorat, et demeure aujourd’hui un centre industriel important notamment pour l’industrie textile. L’industrie manufacturière y occupe la moitié de la population active. Une zone industrielle y est aménagée en 2005 sur 7,5 hectares où les cheminées des usines trônent au milieu des champs d’oliviers.

Pour Jemmal et sa région (ceci est valable pour d’autres régions aussi) une culture entrepreneuriale pourrait détenir la clé à plusieurs problèmes qui se sont accrus après la révolution, à savoir le ralentissement de la croissance économique, la montée du chômage des jeunes et la compétitivité de nos entreprises.

La tâche est certes complexe mais pas impossible. En 2008, il n’y avait pas de culture entrepreneuriale en Finlande et encore moins de relais pour les entrepreneurs. Puis, une initiative privée crée un groupe Facebook dédiée à l’entrepreneuriat au sein de l’université d’Aalto à Helsinki et, obtient en 2009, 500.000 euros pour créer Venture Garage (un bâtiment industriel de 700 mètres de long qui servira de pépinière pour lancer plusieurs initiatives privées). Leur première initiative sera d’emmener un groupe d’étudiants d’Aalto au MIT et à Stanford, pour baigner dans l’écosystème stimulant de l’innovation. Résultat, Venture Garage en profite pour tisser de précieux liens avec des investisseurs et des entrepreneurs américains, qui aideront activement les start-ups finlandaises, lors de leurs premiers pas.

La culture entrepreneuriale a depuis beaucoup évolué en Finlande, et l’initiative privée y est pour quelque chose. Aujourd’hui, la Finlande consolide ses acquis, et réforme en profondeur son système scolaire, en créant des modules de sensibilisation à l’entrepreneuriat dans l’enseignement primaire et secondaire, mais aussi des crèches.

En Tunisie nous devons complétement repenser le système éducatif, à partir des crèches jusqu’à l’enseignement supérieur ; on a besoin d’un genre différent d’enseignement qui ouvre les horizons, qui outille nos jeunes et les prépare à la vie active tout en leur donnant confiance en leur potentiel. Nous devons effectuer des changements en matière d’éducation qui sont nécessaires pour une industrie à haute valeur ajoutée et les nouvelles technologies, pour préparer nos jeunes à leur futur en leur transmettant des compétences utiles pour aujourd’hui et demain. Nous avons besoin d’un enseignement adapté au 21e siècle et du foisonnement d’initiatives privées.

Rôle de la société civile

Dans le cours terme, l’éducation (scolaire et universitaire) demeure le pivot de la formation du capital humain. Toutefois, il est nécessaire de la mettre à jour et de la compléter par les apprentissages et la formation continue (en attendant de réformer le système éducatif). Plusieurs ONGs ont lancé des initiatives intéressantes et réussies comme MDI avec le Gaming et bientôt Internet des Objets, Youth Decides avec les applications mobiles…

Dans le moyen/long terme, l’éducation doit être entièrement repensée (forme et contenu) afin de permettre aux générations à venir de relever les défis d’un monde digital. Il s’agit surtout d’apprendre à apprendre. Les TIC sont entrain de révolutionner l’éducation. 70% des métiers qu’exerceront les enfants qui entrent aujourd’hui à l’école n’existent pas encore.

Ainsi être scolarisé ne suffit plus et est même devenu dépassé et inhibant comme le souligne le philosophe allemand, Richard David Precht : «Le monde des grandes entreprises est souvent plus éclairé que nos écoles qui continuent à fonctionner, au fond, sur le modèle de la société industrielle, vieux de plus d’un siècle». L’école «archaïque» ne suscite plus la joie d’apprendre. Ce constat s’applique aussi pour les universités tunisiennes.

Pour décrocher un premier emploi, ou pour réussir une reconversion professionnelle, il faut des «soft skills», c’est à dire des compétences complémentaires. Pour Richard David Precht, les élèves et les étudiants devront impérativement développer des qualités relationnelles : «savoir naviguer dans la jungle du savoir, se relier à d’autres, monter une équipe, faire preuve de convivialité et de tempérance émotionnelle». Des qualités auxquelles l’école ne les prépare pas, alors que «l’intelligence connectée se développe ailleurs, notamment grâce aux jeux vidéo auxquels des millions de jeunes s’adonnent avec frénésie sans aucun cadre».

C’est à ce genre de questions que la société civile doit s’attaquer. Des questions telles que l’enseignement ludique, les structures d’accueil de la petite enfance et le rôle critique que jouent les premières années de l’enfance dans la formation d’adultes productifs et bien adaptés, l’éducation, la transition de l’université au milieu de travail et l’apprentissage tout au long de la vie. L’apprentissage de l’anglais et des langages de programmations informatiques… Le rôle du secteur privé et des industriels de la région est essentiel et leur soutien à la société civile pour lancer des initiatives innovantes et originales est vital.

En conclusion, les technologies numériques peuvent transformer nos économies, nos régions et nos institutions publiques, mais ces changements ne sont ni acquis ni automatiques. Nous devons continuer à connecter tout le monde et ne laisser personne sur la touche, parce que le coût des opportunités perdues est énorme. Ceci est avant tout la tache du gouvernement et du ministère compétent.

L’enseignement d’aptitudes techniques à un stade précoce et l’initiation des enfants à la technologie (et aux soft skills et langues étrangères) favorisent une meilleure maîtrise des TIC et donnent de meilleures chances aux jeunes pour une insertion professionnelle réussie et une vie décente.

De nouvelles méthodes d’enseignement basées sur les nouvelles technologies sont en train de révolutionner l’enseignement et l’apprentissage. L’exemple le plus connu est celui des MOOC (Massive Online Open Course), outil de l’enseignement à distance. Ces cours enregistrés et diffusés sur Internet sont partout sur le net, gratuits et libres d’accès. Pour le plus jeune âge, des jeux vidéos sont développés par des studios gaming de réputation mondiale comme le finlandais Rovio (concepteur de Angry Birds), qui sera bientôt à Tunis pour un workshop inédit qui verra la participation des enseignants des crèches et des écoles primaires et de la communauté du développement des jeux vidéo en Tunisie. Expérience qui pourrait se transformer en concept pilote dans certaines écoles et crèches tunisiennes et être ensuite généralisé sur tout le territoire.

Par Ghazi Ben Ahmed, Directeur de l’Initiative Méditerranéenne pour le Développement (www.mdiTunis.org)

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