Connais-toi toi-même par Pr Touhami Garnaoui

1.            Pourquoi ce titre : « connais-toi toi- même » ? Cette injonction morale et épistémologique inscrite en grec ancien Γνῶθι σεαυτόν (Gnothi seauton)  au frontispice du Temple de Delphes, situé au pied du mont Parnasse, Socrate la reprend à son compte pour signifier que la philosophie ne désigne pas, comme chez les sophistes, l’acquisition d’un savoir, mais une manière de s’interroger, de se mettre en question, une forme de souci de soi.

Certes, « quand les élites ne parlent pas le langage de la majorité, elles risquent de ne pas se faire écouter ». C’est déjà le roi Juba II de Numidie qui le disait.

Cependant, un peuple qui ignore son passé accepte d’être un peuple soumis. Nous allons évoquer très brièvement ce passé précédent l’ère chrétienne, pour mettre en exergue notre antique disposition à la soumission, qui continuera au cours des siècles suivants, jusqu’à nos jours

2.            Ce sont les romains qui ont divisé le monde en Orient et en Occident, en axe du mal et axe du bien. Pour transmettre leur civilisation aux pays soumis, ils ont imposé des gouvernements collaborateurs pour bénéfice personnel, familial, ou de clan, sous les prétextes les plus variés, semant la division, l’ignorance et la peur, parmi leurs sujets. Rappelons ce jugement de Tacite (55/58 apr. J.C. – 117/120 apr. J.C.), dans « La vie de Giulio Agricola » :

« Le pire des maux : les Romains, dont l’arrogance tend en vain à freiner avec d’humbles soumissions. Prédateurs du monde entier, après avoir tout détruit, et ne pas trouver d’autres terres à dévaster, ils fouillent les mers. Avides contre l’ennemi riche, superbes contre le pauvre, jamais rassasiés ni de l’Orient, ni de l’Occident : ils sont les seuls à se jeter avec un égal acharnement sur l’opulence et sur la misère. Voler, massacrer, ravir, veut dire chez eux, avec une parole fausse, « empire ». Ils ont créé un désert et ils l’ont appelé paix ».

3.            Ceux, parmi nous qui avons étudié ce passé l’ont le plus souvent lu en français, dans une interprétation toute favorable d’abord aux romains, puis aux français et autres classiques occidentaux. Ces écrits ont généralement décrit nos ancêtres comme étant des barbares, des brigands, des pirates, et continuent encore à décrire les populations d’Afrique du Nord avec des attributs comme fellaghas, terroristes et autres termes peu élogieux. Alors que nous leur avons tout enseigné, l’habillement, l’agriculture, de vraies valeurs comme le courage, la solidarité, le respect et l’amour des femmes. Alors qu’on les a secourus, bon gré mal gré, dans les moments de difficultés militaires, depuis l’hospitalité accordée par Didon à Enée et à ses compagnons après les avoir sauvés du naufrage, à l’appui logistique donné par les populations de l’actuel Sahel à Jules César poursuivant les sympathisants de Pompéi, à l’aide donnée par le roi Juba II aux armées de Tibère, à l’hospitalité accordée à leurs émigrés, à la fin de la Ière Guerre mondiale, à l’enrôlement de nos paysans dans les armées alliées durant la deuxième guerre mondiale, à la logistique d’appui offerte aux forces d’invasion de l’Otan en Libye.

4.            Au contraire, les historiens parlent en termes élogieux des amis de Rome, de Massinissa et de Juba II, installés sur le trône pour services rendus à Rome.

Juba II, fils de Juba I, a été muni d’un royaume s’étendant de l’Africa ancienne, aux confins de la Maurétanie. C’était un roi raffiné, marié à Cléopâtre Séléna, fille de la grande Cléopâtre, un homme de lettres prestigieux, défini « Rex Literatissimus », philosophe, historien, géographe. Il parlait et écrivait en langue punique, en latin et grec. Parmi ses écrits : une « Description de la Libye », qui est allée perdue, et « De Expeditione Arabica », pour éclairer Auguste dans son dessein d’occuper alors l’Arabie. Il a installé sa nouvelle capitale à Cherchell qu’il a dotée de grands et beaux monuments. Il a poussé son exploration jusqu’aux Canaries et Madère (appelée alors Purpuraris, spécialisée en teinture pourpre).

5.            Arrêtons-nous encore un instant sur la figure de Juba II. Pénétré par le doute de comment se revendiquer d’un peuple berbère Numide aussi distant de la civilisation hellénique, à laquelle il est si attaché culturellement, « Dieu Amon, Déesse Tanit, implorait-il, je ne veux ni perdre mon identité, ni tolérer une captivité même si aussi raffinée … je suis Numide sans l’être, et je ne suis pas romain, même si j’en possède la culture et les goûts. Je suis comme cet enfant retrouvé qui cherche désespérément son propre lignage partout où c’est possible … ».

On s’est donc toujours heurté au racisme atavique colonial ; quant à nous, il nous a fallu le combattre de son intérieur en maîtrisant l’emploi de la langue où il s’exprime, puis en se faisant élire comme maire d’une petite commune rurbaine, une institution mieux apte à le combattre avec le plus large consensus démocratique.

6.            Tous les maux ne sont pas le fait de la colonisation. Partis les français, on nous a enseigné que nous étions « des républicains dont la langue est l’arabe et la religion l’Islam ». Cela fut répété par l’ancien chef de l’Etat qui vient de nous quitter, un homme dont les aïeux étaient italiens sardes chrétiens catholiques, mais qui se déclarait musulman malékite et se référait au Coran à chacune de ses déclarations.

7.            Notre passé remonte bien au-delà dans le temps. Précisément, à quelques millions d’années. On a certainement entendu parler de l’homme BRIMBA retrouvé à Kelibia, vieux de 2 millions d’années, ou de l’homme sapiens de Mechta-Arbi (Chelghoum el Aid, province de Mila, Algérie) qui remonte au néolithique, il y a environ 20.000 ans, progressivement éliminé par l’homme capsien. Cela, on le sait à travers des archéologues occidentaux. D’ailleurs c’est presque tout notre passé classique qui a été raconté par les historiens grecs ou latins.

8.            C’est Hérodote qui nous a décrit les premières populations qui ont habité l’Afrique du Nord : numides musulames, massiles et masésyles, maures, Gétules, Garamantes,… C’est encore lui, ainsi que Homère dans l’Odyssée, Strabon, Pline l’Ancien, Virgile dans l’Eneide, Polybe, Tite-Live, Plutarque qui nous ont parlé des phéniciens, de la reine Didon, et des guerres puniques. Jules César, Salluste et Tacite étaient les témoins ou les historiens avec certains des historiens cités précédemment d’évènements impliquant les royaumes berbères numides massiles de Iarba, Gaia, Massinissa, Micipsa, Gauda, Jugurtha, Jempsale, Juba I et Juba II, les royaumes numides masésyles de Syphax et Vermine, et les royaumes maurétaniens de Baga, Bocco I, Bocco II, Bogud I et Bogud II.

Plus récemment, l’italien Sabatino Moscati et l’allemand Theodor Mommsen ont apporté de très importants éclaircissements sur notre passé durant cette période phénicienne, carthaginoise, grecque et romaine.

9.            Les populations berbères n’ont connu que l’occupation et l’administration indirecte à la fois. Leurs royaumes n’ont jamais su pratiquement s’unir contre l’envahisseur. Les écrits racontent l’histoire de leurs divisions, pour raisons territoriales ou de successions, ainsi que les révoltes spontanées de leurs sujets jusqu’à l’anse du Niger, de leurs défaites et des triomphes romains à chaque période de crise. Les causes sont celles de toujours : l’arrivée de nouveaux colons et conséquente dépossession des meilleures terres, la politique de grands travaux d’urbanisation comme ceux à Cherchell, nouvelle capitale de Juba II, ou d’infrastructures comme la construction de la route Haidra – Gabès par la III ème Légion romaine d’Auguste et l’éloignement conséquent des populations vers les zones arides ; autre cause, la réactivation du marché des esclaves à un moment où la main d’œuvre métropolitaine commençait à faire défaut pour poursuivre les travaux d’urbanisation à Rome et de son embellissement. 

10.          En avançant dans la connaissance de notre Histoire, c’est le poète latin  Virgile qui nous apprend l’existence de Didon-Alyssa et nous chante la fondation par ses soins de Carthage (8 siècles avant Jésus Christ), en plein royaume berbère de Iarba.

11.          Hérodote nous parlera des guerres entre Grecs et carthaginois (du 6ème au 4ème siècle av. J.C)  pour la suprématie en Méditerranée.

12.          Après la naissance de Rome, Carthage va affronter trois guerres, appelées 1ère, 2ème et 3ème Guerres Puniques, et les perdre toutes les trois, de 249 à 146 av. J.C. La première opposera Hamilcar Barca aux romains en Sicile ; la deuxième opposera Hannibal aux romains en Espagne, en Italie, et en Africa, au cours de batailles restées légendaires. La défaite d’Hannibal grâce à l’intervention fortunée de Massinissa en appui aux forces de Scipion l’Africain, sera récompensée par les romains en lui accordant le Royaume de Numidie, avec un territoire comprenant l’Africa et s’étendant jusqu’au territoire oranais, mais tout en lui refusant l’entrée et la possession de Carthage, qui sera détruite au cours de la troisième Guerre Punique, sous le commandement militaire d’un autre Scipion dit l’Emilien. Son défenseur Hasdrubal avait choisi alors de trahir les siens, et de se rendre à Rome, avec armes et bagages, où il aurait vécu, dit-on, en citoyen libre jusqu’à sa mort.

Les sources historiques sont les auteurs latins Tite-Live, Polybe et Plutarque, le classiciste allemand Theodor Mommsen, et en mesure largement mineure, Gustave Flaubert dans Salambò.

13.          La société romaine est maintenant stratifiée : patrices, populares, colons, esclaves. La lutte va s’engager entre ces classes sociales pour la prise du pouvoir. Jules César (100 av. J.C – 44 av. J.C) écrira son épopée contre Marc Antoine, Pompée et ses sympathisants poursuivis d’Egypte, en Africa, en Espagne. Il finira assassiné par les conjurés Longino et Brutus à Rome, le 15 mars 44 av. J.C.

Avant de quitter l’Africa pour l’Espagne en 46 av. J.C. il divisera le pays en Africa Ancienne avec Carthage relevée de ses cendres, l’Africa Nouvelle qui empiète sur le royaume Numide, pour punir Giuba I, descendant de Massinissa, qui avait choisi de s’unir aux pompéiens contre César, et la Cirénaique. Il nommera comme proconsul, son commandant Salluste.

Salluste écrira, durant sa retraite, l’histoire des guerres de Jugurtha, guerres commencées comme guerres de succession entre lui et ses frères, petits frères et cousins (Massinissa, fils de Gaia et neveu de Ezalce, Numides Massiles, aura une quarantaine d’enfants dont 3 cités par Salluste : Micipsa, Mastanabaal, et Gulussa. A la mort de Massinissa le royaume passe à Micipsa, le plus ancien. Micipsa aura deux enfants : Aderbaal et Jempsale I, et adoptera avant leur naissance Jugurtha, frère de Gauda et fils de Mastanabaal). A la mort de Micipsa, Jugurtha prétendit le royaume pour soi. Rome fera de tout pour empêcher ce Saddam Hussein ante litteram de prendre le pouvoir. La guerre se terminera sur trahison de son allié le roi de Maurétanie Bogud qui le livrera aux romains. Jugurtha mourra dans des conditions atroces à Rome.

14.          C’est Tacite qui nous dira de Tacfarinas de manière ambiguë, malgré ses critiques envers la dure politique expansionniste romaine. En réalité l’action de guerre de Tacfarinas, qui commença en l’an 17 apr. J.C, sous l’empire de Tibère, successeur d’Auguste, représente, après des décennies d’insurrections, une nouvelle ligne politique rendue possible à partir de la formation d’une coalition entre tribus berbères, regroupant Numides Massiles, Masésiles, Musulames, Gétules et Maures. Il meurt en Maurétanie, au cours d’une bataille contre les forces du proconsul d’Afrique Publius Cornelius Dolabella en 24 apr. J.-C. Le roi Juba II, aide Rome protectrice contre Tacfarinas. Il meurt la même année 24 apr. J.C. Son fils Ptolémée lui succèdera avec l’approbation de Rome.

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