Béchir Salem BELKHIRIA : Le Défi PERMANENT

La 3 ème INDUSTRIE

Devant une petite ferme, perdue dans les Alpes, à coté du fumier et des charrues, il y a un tas de déchets métalliques brillants. Dans la petite bâtisse qui servait certainement d’étable, cinq personnes s’affairent autour de quelques machines outils : tours et fraiseuses.

Le fermier patron me reçoit avec toute l’amabilité paysanne et m’explique qu’il fait du « décolletage »: Cela consiste à travailler des barres d’acier et de bronze et d’y fabriquer des pièces détachées en petites séries pour le compte de grossistes et d’industriels situés dans d’autres régions et même à l’étranger.

Au cours des discussions et des visites pendant les jours qui suivent, j’apprends qu’il existe dans cette région française , autour de Salanches, plus de 500 entreprises du même genre. Certaines ont prospéré et emploient maintenant plusieurs certaines d’ouvriers.

Aucune de ces entreprises ne fabrique des machines complètes, ni des produits directement utilisables par le dernier acheteur. Comme elles ne sont ni des industries lourdes ni légères, je les appellerai donc « la 3 ème industrie ».

Définition:

La 3 ème industrie est par conséquent une sorte de courroie de transmission entre l’industrie lourde et l’industrie légère.

Elle prend des produits semi finis chez la première, les transforme en produits intermédiaires et les cède à la deuxième. En général, elle ne fabrique que de petites séries, en quelque sorte « à la carte ».

Les grandes séries sont le plus souvent exécutées par l’industrie lourde d’une façons permanente mais aussi quand leurs ventes dépassent leur capacité de production.

Elle s’adapte donc aux caprices du marché et donne à l’économie du pays une très grandes souplesse.

L’iceberg:

Souvent les fabricants des machines ou de produits finis, mondialement connus, ne possèdent qu’un rudiment d’usine e quelques certaines de mètres carrés qui ne correspond pas à leur chiffre d’affaire .

Le secret de leur « grande fabrication  » et de leur réussite réside dans l’utilisation judicieuse des services de la 3 ème industrie qui leur fournit plus de 80% de leurs besoins.

D’ailleurs, les industriels, qu’ils soient Allemands, Français, ou Japonais admettent franchement que sans la 3 ème industrie, ils seraient dans l’impossibilité de fabriquer leurs produits d’une façon rentable car les investissements nécessaires dépassent leurs capacités financières, et les exigences techniques sont nettement au dessus de leurs moyens.

En fait, les pays développés possèdent avant tout la 3 ème industrie, grande utilisatrice de main d’œuvre . C’est la partie cachée de l’Iceberg.

Les contradictions des pays en voie de développement:

Les pays en voie de développement n’ont pas de 3 ème industrie. Quand ils décident de s’industrialiser, ils sont obligés de créer des entreprises intégrées qui doivent fabriquer de A à Z les pièces composantes.

Les handicaps financiers, techniques et de commercialisation sont tels que lorsque l’entreprise est finalement sur pied, la demande a déjà changé et le produit abriqué est démodé ou techniquement dépassé. Conçues comme entreprises pilotes ou noyaux d’industrialisation, elles deviennent, petit à petit , des états dans l’Etat et peuvent gêner le développement harmonieux du pays. C’est là le drame des pays en voie de développement. Il est d’autant plus grave que les industries de base nécessitent d’énormes capitaux par nouvel emploi et qu’elles ne trouvent pas de débouchés immédiats dans la 3 éme industrie puisqu’elle est inexistante.

Les industries légères n’échappent pas à cette règle. Elles doivent s’approvisionner à l’étranger en pièces détachées. Elles ont donc toutes les chances de demeurer de simples chaînes de montages, rabougries, travaillant pour les grandes marques étrangères c’est à dire que la valeur qu’elles ajoutent à leurs produits finis demeurent insignifiante.

D’ailleurs, ni les manuels d’économie, ni les techniques de planification nationale, ne prévoient expressément la création d’une 3 ème industrie.

Caractéristiques de la 3 ème industrie:

Elle est essentiellement familiale. En général, c’est un ouvrier qualifié qui la crée pour être indépendant. Il mobilise le peu de capitaux qu’il possède et achète pour débuter une ou deux machines même d’occasion.

C’est lui-même qui travaille sur la machine. S’il fait des bénéfices, il continue à investir et à embaucher sans créer des services administratifs.

Pas de frais généraux:

Au premier stade, tous les emplois sont directement productifs. Il n’y a pas d’investissement en immeuble ni en moyen de transport.

Dans ces conditions, il y a le minimum de capitaux par emploi crée. Il n’y a pas de frais généraux et les prix de revient sont réduits au minimum, ce qui leur permet de fabriquer des petites séries, d’une façon plus rentable que ne peut le faire la grande entreprise.

Haute Technicité:

Le détenteur d’un petit atelier est avant tout un technicien. Il connaît parfaitement ses machines et en tire le maximum. Il peut, par conséquent, les utiliser d’une façon très souple. Il adapte aux désirs des clients qui sont parfois très exigeants. Sa grande expérience lui fait acquérir une haute technicité.

Condition favorisant sa création :

1-Liberté d’achat des machines outils:

L’ouvrier qualifié comprend difficilement les formalités administratives et plutôt que d’entreprendre la constitution d’un dossier et à consulter les experts et les gens désignés à cet effet préfère ne rien entreprendre ou tout simplement émigrer.

2-Création d’écoles industrielles:

A titre d’exemple, l’industrie de décolletage, de la région de Sallanches n’existait pas il y a une dizaine d’années. C’est la création d’une école industrielle qui a déclenché le mouvement.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce sont généralement les patrons qui ont une formation technique alors que les ouvriers sont souvent formés sur le tas. J’en ai interviewés plusieurs qui m’ont déclaré franchement qu’ils n’ont jamais mis les pieds dans une école technique.

3-Information endoctrinante:

Les organes d’information jouent un rôle déterminant. Les réussites sont souvent et répétitivement signalées. Les visites, les rencontres, les explications écrites et surtout audio-visuelles sont fréquentes.

Il faut donc une volonté politique pour déclencher le mouvement de création de la 3 ème industrie.

Les répétitions informatives doivent être mûrement élaborées.

L’émulation étant humaine, la réussite d’un homme entraîne le plus souvent l’imitation par ses voisins.Il suffit de lui réserver autant de temps T.V Radio qu’OM-KAlTHOUM.

4-L’information des clients éventuels:

Les meilleures affaires sont celles qui commencent par une vente.Il arrive, d’ailleurs souvent, que l’ouvrier se décide de s’établir à son compte à la suite d’une commande passée par un client qui peut être un magasin de vente, un grossiste ou un industriel qui connaît ses capacités techniques. Mais cela n’est pas suffisant. Des organismes professionnels doivent se charger d’informer les clients potentiels, donneurs d’ordre. Ils doivent aussi informer le fabricant des clients potentiels et de l’évolution du marché. La politique d’information doit être extrêmement dynamique et efficace.

5-L’organisation commerciale:

Vendre avant de fabriquer, telle est la condition de vie de la 3 ème industrie.

Le circuit commercial est donc d’une importance fondamentale. D’autant plus que l’ouvrier qui s’établit pour son compte a tendance à négliger l’effort nécessaire pour la vente. Si, en outre, il y a des possibilités d’exportation et une nécessité d’importer les métaux à transformer, les circuits d’approvisionnement et d’écoulement doivent bénéficier d’une grande liberté car le temps où les machines ne travaillent pas, est irrécupérable. Il est perdu autant pour l’entrepreneur et ses ouvriers que pour l communauté.

La 3 ème industrie et le développement économique:

La plupart des industrie de pointe doivent leur existence et leur démarrage à la 3 ème industrie. L’inventeur potentiel commande les pièces détachées spéciales de son prototype à un petit façonnier. Il lui fait faire des modifications et des améliorations jusqu’à ce que le premier prototype donne satisfaction. C’est alors que commence la fabrication des petites séries grâce aux pièces commandées chez la 3 ème industrie. Le succès du marché seul peut alors décider l’inventeur à construire ou non une usine. Et même lorsque le succès est universel et que l’appareil est fabriqué en certaines de milliers d’exemplaires, plusieurs pièces continuent à être fabriquées par la 3 ème industrie pour l’une des raisons suivantes: meilleurs pris ou meilleure qualité ou simplement secret de fabrication. Ainsi la plus grande entreprise industrielle du monde la Général Motors qui emploie plus de 800.000 personnes fait travailler des milliers de petits industriels indépendants.

Le succès des industries de pointes qui emploient des millions de personnes de par le monde, alors qu’elles n’ont pas quinze ans d’existence , doivent leurs fortunes à la 3 ème industrie.

On peut citer les appareils de photocopies, les appareils de photo et l’optique d’une façon générale, les appareils électroniques, les nouvelles machines de bureau, l’imprimerie, les appareils électroniques, le plastique, les appareils médicaux.

Les industries traditionnelles utilisent en grand les services de la 3 ème industrie ; l’industrie automobile, les chemins de fer, la fabrication des armes, la construction navale et la fabrication des bicyclettes. A ce sujet, il existe actuellement à Paris des petits industriels qui fabriquent une douzaine de bicyclette par mois, d’une façon rentable.

En fait, il n’existe pas une grande industrie qui n’utilise pas les services et la technologie de la 3 ème industrie.

Quand on pense que , plusieurs milliers de produits nouveaux sont lancés chaque année sur le marché, dont 80% d’entre eux échouent, et que la presque totalité de ces produits sont fabriqués par la 3 ème industrie, on réalise la souplesse extraordinaire que donne celle-ci au développement économique et à son adaptation aux exigences du marché.

Les possibilités de la 3 ème industrie en Tunisie:

La Tunisie est un pays qui ne dispose ni d’un grand marché ni de grands capitaux. Par contre, il a investi le maximum de ses ressources dans l’enseignement et la formation professionnelle. Son vrai capital est donc sa main d’œuvre élaborée. Cette main d’œuvre, en émigrant , profite de plus en plus à l’étranger, où elle donne entière satisfaction par son sérieux et son dévouement. En fait, et ceci a été souvent confirmé par les employeurs étrangers et par mon expérience personnelle, dans une organisation industrielle donnée, l’ouvrier tunisien a une productivité aussi élevée que celle de on homologue Européen.

En outre, si l’ouvrier tunisien émigre c’est qu’il a de l’ambition qu’il ne peut réaliser dans son pays.

Il y a, parmi ces émigrés et parmi ceux qui aspirent à l’être un grand nombre qui ne demandent pas mieux que de s’établir à leur propre compte. Comme les tunisiens ont un penchant net pour la mécanique, l’électricité et l’électronique, trois domaines où la 3 ème industrie prospère , nous avons réuni les éléments nécessaires pour créer rapidement une 3 ème industrie.

Quant au marché potentiel, il est énorme. Outre le marché Tunisien et Algérien, la Tunisie est associée au Marché Commun qui se trouve à une heure de vol d’avion.

Or, les pièces produites par la 3 ème industrie sont généralement chères car elles nécessitent une forte injection de main d’œuvre et sont le plus souvent susceptibles d’être transportées par avion, même  pour bateau le voyage dure à peine une journée.

Il y a donc toutes les conditions objectives pour implanter et réussir une 3 ème industrie en Tunisie.

Son succès sera davantage assuré si on supprimait le fameux agrément du Ministère de l’Economie Nationale pour les investissements inférieurs à 50.000 d et si on encourageait les ouvriers Tunisiens émigrés à importer des machines outils plutôt que des voitures de tourisme pour lesquelles ils n’ont pas besoins d’agrément.

Il suffit de leur appliquer les clauses du code d’investissement tunisien qui encourage les industriels étrangers à transférer leurs usines en Tunisie et les exempte de taxes locales et des droits de Douane.

La 3 ème industrie et le marché tunisien offre de grandes possibilités. Les domaines sont assez nombreux où les fabrications sont immédiatement rentables. Nous allons citer quelques uns à titre indicatif et non limitatif.

La quincaillerie:

La Tunisie importe chaque année pour plusieurs millions de dinars d’articles de quincaillerie de tout genre dont plus d’un million de dinars de boulonneries. Les ateliers Mécaniques du Sahel fabriquent les grandes séries mais ne peuvent entreprendre d’une façon rentable les petites séries surtout s’ils sont en aciers spéciaux ou en métaux non ferreux.

La libération des importations des machines et leur acquisition sans agrément par les candidats industriels créeraient plusieurs centaines d’emplois nouveaux et réduiraient les importations et répondraient mieux à la nature du marché tunisien.

Les composants électriques:

La visite des foires professionnelles montre clairement que la fabrication de très nombreuses pièces électriques est à la portée de nombreux tunisiens qui ne demandent que d’investir leurs faibles économies pour s’assurer un emploi permanent. Là aussi, la Tunisie importe pour plusieurs millions de dinars par an.

L’industrie plastique:

Il existe une grande quantité de petites machines de transformation de plastique dont le prix est inférieur à mille dinars et qui permettent la fabrication d’une grande variété de petites pièces moulées que nous importons actuellement. Les machines ne peuvent être rentables dans une grande usine mais peuvent parfaitement l’être chez un particulier.

Les pièces fabriquées aussi sont utilisées par les laboratoires, l’industrie électrique, l’industrie automobile, l’électronique etc.

L’industrie mécanique:

Outre le décolletage qui prospèrera certainement en Tunisie on peut mentionner la mécanique générale et de précision, le découpage, l’emboutissage, la tôlerie industrielle, la mécano soudure, la serrurerie etc …

La petite fonderie:

De très nombreuses pièces que la Tunisie importe en petites quantités peuvent être coulées dans le pays. On peut citer les garnitures en bronze et en alliage, la robinetterie. La petite fonderie a l’avantage de nécessiter des investissements négligeables, tout en utilisant une main d’œuvre nombreuse.

L’ébénisterie

La rareté de la main d’œuvre ne décourage pas les européens à acheter des meubles de style qui coûtent assez chers. Or ce meubles sont fabriqués à l’étranger en grande série grâce aux machines copieuses dont le prix commence à partir de 600 dinars environ. L’industriel, disons tunisien, se contente de fabriquer les éléments les plus chers sculptés; accoudoirs, pieds, dossier etc… et les expédie » en piéces détachées ». Le fabricant étranger les assemble, les tapisse et donne sa marque.

En outre, les appartements en Europe sont de moins en moins peints mais de plus en plus tapissées par du papier peint. Ce genre de tapisserie moulurières. Celle-ci peuvent donner des dimensions nouvelles à notre artisanat.

Le moulage du plastique

Le moulage des pièces plastiques, leur usinage, la confection des isolants, le thermoformage, le conditionnement et l’emballage de luxe se prêtent au traitement des petites séries d’une façon rentable car elles n’exigent que peu d’investissement.

Le câblage, l’électro mécanique et les circuits imprimés

Font aussi partie intégrante de la 3 ème industrie pour les mêmes raisons que les précédentes.

Quelle industrie peut en bénéficier?

On peut affirmer sans risque d’erreur, que toutes les industries existantes en Tunisie vont bénéficier rapidement de la 3 ème industrie. En plaçant leurs commandes de petites séries de pièces détachées ou de composants qu’ils ont l’habitude de commander à l’étranger.

On peut citer les mines, les chemins de fer, l’armée, les quincailliers, les mécaniciens, l’industrie textile, le matériel agricole, les magasins de pièces détachées, la réfrigération, le chauffage, le sanitaire etc…

Elles peut aussi faciliter la création de nouvelles industries telle que:

a-La construction des bicyclettes

A l’exception de quelques pièces qui sont fabriquées par quelques sociétés dans le monde comme les roulements à bille, la plupart des pièces détachées des bicyclettes pourront être fabriquées sur place. C’est une industrie qui prospère dans les pays où le niveau de vie est assez bas ou très élevé. La Tunisie dont les écoles sont dispersées et qui importe la totalité des autobus a intérêt à encourager par tous les moyens la fabrication des bicyclettes. Il suffirait peut être de les taxer comme les autobus et non comme les voitures particulières.

b-L’industrie des jouets

A titre d’exemple, la France importe pour 25 millions de dinars de jouets par an. L’existence d’une 3 ème industrie (plastique, rouage, emboutissage, télécommande) sera déterminante pour la promotion de l’industrie du jouet qui a de grandes possibilités d’exportation.

c-La construction électronique et l’optique

Des pays comme HONG KONG dont la superficie ne dépasse pas celle du Gouvernorat de Tunis, fait vivre une population de 4 millions d’habitants grâce à l’implantation depuis moins de 10 ans des industries de fabrication de l’électronique et des appareils d’optique sui nécessitent très peu d’investissement et beaucoup de main d’œuvre ayant le niveau intellectuel des tunisiens.

Conclusion

Souvent les pays en voie de développement, quelque soit leur régime politique, se demandent pourquoi leurs efforts d’industrialisations ne donnent pas les résultats escomptés. A mon avis, c’est l’absence d’une 3 ème industrie qui en est souvent la cause.

La Tunisie ne peut se permettre ni de s’engager dans les grands projets d’industrie lourde ni de se contenter de faire du montage pur et simple mais elle a l’avantage, grâce à sa politique éducationnelle et à son association au Marché Commun, de se lancer dans l 3 ème industrie sans risque d’erreur grave car celle-ci exige relativement peu de capitaux et elle crée de très nombreux emplois et constitue le fondement industriel de tout pays développé.

Pour que cette industrie réussisse, il faut tenir compte du niveau culturel de ses promoteurs qui peuvent avoir une compétence technique indiscutable mais sont rebutés par la moindre exigence de paperasserie administrative.

La meilleure façon de les encourager, est de supprimer cet handicap artificiel appelé agrément, apparemment gratuit, mais dont le coût réel peut dépasser facilement le montant des investissement pour lequel il est demandé.

Quand à l’encouragement fiscal, il suffit d’appliquer la loi.

Université Narrative ou formative?

Comme chacun sait, la première Université Arabe fût créée à Kairouan au premier siècle de l’Hégire par la »Mission des Vingt Savants », envoyée par le Calife de l’époque.

La fondation de Beit El Hikma à Kairouan au troisième siècle de l’Hégire (neuvième siècle) , fut certainement la première université au monde dotée de toutes ses structures.

La tradition universitaire ne s’est pas interrompue jusqu’à ce jour. Notre Université actuelle a donc des racines profondes et doit bénéficier de l’expérience de ses ancêtres, qui ont eu un rayonnement international pendant des siècles et dont les effets sont encore sensibles, non seulement au Nord mais aussi au Sud du Sahara.

Tout projet de réforme universitaire devrait tenir compte de ce facteur pour que la nouvelle Université puisse tirer profit d’une expérience plus que millénaire.

Ceux parmi nous qui ont pu faire la comparaison entre deux ou plusieurs universités étrangères, se rendent compte que nous avons un riche héritage universitaire dont nous pouvons être fiers, et qui peut être pour nous une source inépuisable d’enseignements. Nous rappellerons à titre d’exemple les relations, véritablement d’égal à égal, qui régnaient à l’époque entre professeurs et étudiants, à l’Université de la Zitouna.

I-Le nombre des diplômes universitaire:

Il y a actuellement plus de dix mille tunisiens diplômés d’université et pour lesquels tout projet de réforme devrait présenter au moins deux études: une étude quantitative et l’autre qualitative.

L’étude quantitative s’attacherait à établir le nombre de ces diplômés, leur niveau, l’origine des diplômes, les emplois actuels, les langues étrangères utilisées, les disciplines étudiées etc…

Quand à l’étude qualitative, elle s’intéresserait plus spécialement aux expériences personnelles des diplômés, aux difficultés psychologiques et matérielles qu’ils ont rencontrées à leur sortie de l’université, dans quelles conditions ils abordent par exemple leur entrée dans le corps enseignant…

Avec ces données, le problème de la tunisification se présenterait sous une forme dynamique et objective. La réforme aurait bénéficier de l’expérience vécue des tunisiens et aurait plus de chances d’être conforme au génie de notre peuple et à ses aspirations.

Elles aurait évité aussi le risque d’être accusée plus tard d’avoir imité des essais étrangers n’ayant pas encore  fait leurs preuves.

II-Dictée, ou discussion entre adultes?

Comme chacun sait, les programmes des cours à l’Université sont établis d’avance par les autorités compétentes. Ils concernent des disciplines connues parfois depuis fort longtemps et qui ont toutes les chances de se trouver dans des manuels déjà édités.

Par ailleurs, les cours des professeurs s’appuient sur des publications antérieures auxquelles ils ajoutent s’il y a lieu leur apport personnel. Dans tous les cas, le cours n’est jamais improvisé.

Dès lors, il est étonnant qu’un grand nombre de professeurs, particulièrement dans les Universités de type français, continuent à agir comme si l’imprimerie n’existait pas, et assujettissent leurs élèves à écrire sous la dictée pendant des heures (en termes élégants, ils prennent des « notes » alors qu’une secrétaire, éventuellement rédactrice, pourrait faire le même travail puis polycopier le cours.

La secrétaire étant payée environ un dinar de l’heure, cela représenterait un bénéfice considérable par rapport à l’heure de cours qui, rappelons-le, peut coûter à l’Etat plusieurs certaines de dinars (bourses, locaux, rémunérations etc…).

Or, la contrainte de la dictée met les étudiants, dès l’abord, dans une position d’infériorité par rapport

au professeur, qui est pourtant censé leur inculquer la confiance en soi. Il n’y a donc le plus souvent, pendant les heures de cours, ni échange d’idées ni même de paroles. Les rapports professeurs-étudiants ne peuvent être que distants, sinon frustrants, et l’anonymat de l’étudiant est encore plus accusé qu’à l’usine où l’ouvrier a au moins un numéro…

III-L’habitude de lire:

Pourtant, avant d’entrer à l’Université, l’étudiant a obtenu un diplôme qui atteste qu’il a appris à lire et à comprendre. Les premières leçons sont donc à sa portée et il peut les lire sans l’aide du professeur.

C’est pourquoi, certaines Universités allemandes, américaines etc…

en tiennent compte: les étudiants apprennent leurs leçons avant d’entrer à l’Amphithéâtre, soit dans des livres, soit dans des cours polycopiés qui leur sont distribués au début de l’année ou du semestre universitaire.

Au début de chaque cours, un étudiant présente en quelque minutes, une partie ou la totalité de la leçon à ses camarades (l’étudiant acquiert ainsi la technique de la présentation).

Le rôle du professeur consiste ensuite à diriger les débats, à éclaircir les points restés obscurs et à ajouter éventuellement son opinion personnelle qui représente 5 à 10% du cours.

Une telle attitude de la part du corps enseignant donne confiance aux étudiants. Elle leur apprend à compter sur eux-mêmes et à estimer leurs professeurs. Les conflits d’opinion ou d’interprétation deviennent chose normale et habituent les étudiants aux opinions divergentes (apprentissage de la démocratie).

Un autre avantage de cette méthode est le fait que l’étudiant prend l’habitude de lire et d’exercer sa mémoire, autant que son esprit sur des connaissances nouvelles, sans compter constamment sur des interventions étrangères.

Cette habitude de lire lui restera acquise à sa sortie de l’Univrsité.Malheuresement ce n’est pas le cas pour la plupart des diplômés actuels, pour qui la sciences a cessé de progresser le jour ou ils ont obtenu leurs diplômes.

Enfin, si la dictée disparaît, il n’y  plus de raisons de maintenir le même nombre d’heures de cours .

IV-L’habitude d’ecrire:

Cette habitude s’acquiert suivant le même processus : l’étudiant étant majeur est par définition capable de trouver le ou les problèmes – disons les cas – pour les travaux pratiques. Le professeur ne lui « donne » plus le problème et, comme chacun sait « poser le problème c’est le résoudre à moitié ».

L’étudiant doit donc s’habituer à chercher , à trouver les problèmes, à les définir, à les analyser et enfin à donner ses conclusions.

Cette démarche exige des recherches bibliographiques à faire en dehors du cours, et c’est celle qui doit intéresser le professeur, que les hypothèses de départ soient justes ou fausses cela n’a aucune importance.

Comme l’étudiant doit présenter sous forme écrite, généralement une fois par semestre et par matière, le travail de recherche qu’il a effectué, l’habitude d’écrire et de faire des recherches devient pour lui si naturelle, qu’il la gardera après avoir quitté l’Université, car si l’art d’écrire est un don, il ne s’épanouit que lorsque l’on a appris la technique et l’habitude.

 

V-L’université, et la confiance en soi et en son pays:

On a souvent dit que Université façonne l’âme et l’esprit d’un peuple.

Ceci est si vrai qu’il y a aujourd’hui d’anciennes colonies particulièrement en Amérique Latine qui, malgré une indépendance chèrement acquise depuis plus d’un siècle, continuent à chercher leur authenticité nationale parce que leur Université était convaincue que la science était l’exclusivité de la langue de l’ancien colonisateur.

Ces pays n’ont donc cessé de rêver à cette science, sans jamais faire l’effort de se définir eux-même. La substitution d’un nouveau « protecteur » à l’ancien colonisateur n’a fait qu’asservir leur esprit à l’optique du protecteur.

C’est donc la rémanence culturelle coloniale, dans son aspect le plus insidieux, qui résiste le plus au temps et même aux révolutions, quand celles-ci ne tiennent pas compte du génie créateur propre au pays.

Cette rémanence culturelle coloniale est d’autant plus tenace qu’elle donne l’impression d’être désintéressée et qu’elle se présente par l’intermédiaire d’une langue autre que celle du peuple.

Il en résulte que le fossé s’élargit avec le temps entre le peuple et son élite. La moindre secousse politique et économique se traduit par une exode des cerveaux, ceux-ci ayant perdu leurs attaches populaires, donc nationales.

Par contre, lorsque l’Université est intégrée à la conscience populaire et qu’étudiants et professeurs e contact étroit avec eux, alors elle devient l’élément moteur de la fierté nationale et de l’épanouissement d’une culture saine.

VI- Problème des langues étrangères:

Ce qui précède est d’autant plus vrai qu’il n’existe plus de langue unique véhiculaire de la science comme par le passé.

La science ne se développe plus comme un réseau mais comme un arbre qui bourgeonne de toute part.

Le problème des langues étrangères est devenu universel. Toutes les langues, disons même tous les dialectes sont capables, non seulement d’assimiler les sciences mais aussi de les faire progresser.

Il existe d’ailleurs, de nos jours, dans les pays les plus développés, comme dans certains autres, des comités de savants spécialisés qui travaillent sur les traductions des recherches entreprises par leur collègues étrangers.

Le problème des savants n’est plus d’apprendre à la perfection une seule langue étrangères, mais plutôt les notions de base de plusieurs langues.

En Tunisie même, si l’on demande à un directeur d’entreprise s’il préfère un ingénieure qui ne connaît qu’une seul langue étrangère à la perfection ou un autre qui a des notions de plusieurs langues, il répondra sans doute qu’il préfère le second, toutes choses égales par ailleurs.

Il est donc nécessaire de bien connaître sa langue nationale et souhaitable d’avoir des notions de plusieurs langues étrangères sans se formaliser des fautes d’orthographe.

Nous comprenons par là, la nécessité d’habituer l’étudiant à utiliser la langue nationale afin de pouvoir communiquer sans complexe avec ses compatriotes. De cette façon il acquiert de l’assurance avant la fin de ses études, car il ne se sentira plus déraciné dans son propre pays et incompris par ses propres concitoyens.

VII-La décentralisation scolaire:

Le projet de réforme prévoit la décentralisation universitaire.

C’est une décision hardie et fort sage, comme nous allons le voir plus loin.

1-Coût de la décentralisation:

Contrairement aux apparences, la centralisation coûte très cher au pays , autant au point de vue économique que social…

En effet, un élève qui quitte ses parents pour entrer dans un collège hors de sa ville natale, est obligé de payer une pension, un trousseau spécial, les frais de voyage etc…, le tout s’élevant à environ (1000) mille dinars pour les sept années d’études. Ce supplément de dépenses qui n’est pas supporté par les autres parents dont la ville à un collège, est en réalité un désinvestissement au détriment des zones rurales: l’Etat étant également obligé d’intervenir en accordant à l’étudiant éloigné des bourses, en construisant des pensionnats , en payant le personnel etc … . Il devient évident que la décentralisation est beaucoup moins coûteuse tant pour la communauté que pour le budget de l’Etat.

Quant aux transport, une politique populaire de la bicyclette pourrait dans beaucoup de cas offrir une bonne solution. Actuellement la bicyclette est considérée comme un produit de luxe et taxée comme tel.

Il en est de même pour l’enseignement supérieur, où le supplément de dépenses, donc des désinvestissements, peut être estimé à mille quatre cents dinars(1400) par étudiant.

L’effet social est encore plus grave.

2-Ceux qui réussissent:

Un élève qui réussit ses études primaires, accède au collège.

S’il est d’une petite ville, il la quitte et on peut être certain qu’il n’y reviendra plus pour y travailler : c’est le début de l’exode…

S’il réussit à entrer à l’Université, il s’installera dans la capitale. L’exode devient alors irréversible et peut entraîner celui de la famille toute entière qui tient à améliorer son revenu et à « caser » ses filles. En effet, pour les filles restées au village, les possibilités d’études ou de mariages sont bien réduites.

Il en résulte une distorsion sociale au détriment de la femme, susceptible de gêner un pays largement ouvert au tourisme.

Quand l’étudiant est brillant, il a tendance à continuer ses études à l’étranger at aspire à l’internationalisme, ce qui est bien légitime.

On peut conclure en affirmant que plus une personne réussit dans les études, plus son pays dépense pour elle, et plus elle aura tendance à quitter le pays.

3-Ceux qui abandonnent:

Quand un enfant abandonne à la fin de l’école primaire, il reste dans son milieu qu’il peut aider à appliquer les notions élémentaires de l’hygiène, les soins à apporter aux plantes et aux animaux.

S’il n’arrive pas à suivre le cycle secondaire ou s’il quitte le collège au niveau du baccalauréat, il a des chances de se faire embaucher par une entreprise locale. Il apprend alors un métier, peut éventuellement y apporter des améliorations et l’ambition aidant, il peut enrichir la communauté d’une entreprise nouvelle.

Enfin s’il interrompt ses études universitaires au milieu ou à la fin, il reste dans son pause, s’adapte à la vie active- d’autant plus facilement qu’il aura fait des stages valables en cours d’études – et peut devenir rapidement un élément moteur dans le développement économique et social de sa patrie. Il fait ainsi bénéficier la communauté de ses connaissances pour lesquelles elle a consenti tant de sacrifices.

VIII- Les études et l vie pratique:

Comme il n’existe pas, à notre connaissance, d’étude approfondie sur le sort des diplômés universitaires tunisiens, nous sommes obligés d’avoir recours aux sondages personnels, avec tous les aléas que cela comporte.

D’après ces sondages, l’étudiant tunisien, à sa sortie de l’Université française ou de type français, se retrouve au milieu d’une somme d’incertitudes. En effet, à l’exception probablement des médecins, des chimistes et de quelques autres spécialistes, l’étudiant n’a pas l’opportunité d’affronter les problèmes pratiques concernant sa spécialisation.

Le nouveau diplômé se sent donc un peu perdu. Il ne sait pas par où commencer. Il a tendance à garder religieusement ses livres de cours dans l’espoir d’y trouver les clés de tous les problèmes qu’il aura à résoudre.

Ce manque de confiance en soi peut mener souvent à l’auto-suffisance, et c’est alors le heurs, parfois tragique avec la société dans laquelle il vit. Ce danger est d’autant plus fréquent que l’étudiant n’a pas « cette habitude de lire » , et qu’il ne puise ses informations que dans ses cours. De tout ce qu’il a appris, il ne lui restera que la conviction qu’il a le droit de commander les autres.

Sa seule chance est de se trouver, à la sortie de l’Université, dans un milieu qui a déjà une grande expérience dans sa spécialité et un niveau intellectuel élevé. Malheureusement ce n’est pas souvent le cas dans des pays comme le nôtre, et c’est alors le choc psychologique difficile à guérir.

Ce choc peut d’ailleurs survenir avant la fin des études.

Pour remédier à cette situation, et pour éviter que les bancs de l’Université ne soient remplis d’étudiants sans vocation précise, il serait souhaitable d’adopter l’un des système couramment pratiqués par certaines Universités suisses, allemandes et surtout américaines.

Par exemple,dans un de ces systèmes les cours sont divisés par semestre et l’étudiant suit normalement les cours du premier semestre.

Ensuite il quitte l’Université, va travailler dans le secteur public ou privé , pendant un semestre ou un an. Une liberté totale lui est laissée quant au choix de cette activité. Toutefois, il lui est recommandé de choisir une branche qui correspond à sa vocation.

Certains Universités attribuent une note à cette période, d’autre n’en tiennent pas compte, tout en exigeant la preuve de la matérialité du travail pratique.

 

Cette pause dans les études a des buts multiples:    

a- Pour permettre à un plus grand nombre d’étudiants d’accéder à l’Université sans augmenter le nombre de professeurs ni celui des locaux.

b- Avoir, à partir de la deuxième année ou de deuxième semestre des étudiants qui ont vraiment choisi leur vocation et éviter d’avoir des diplômés sans conviction professionnelle, et qui ne s’aperçoivent de leur mauvais choix que les études terminées.

c- Matérialiser les études d’apparence théorique.

d- En gagnant sa vie, l’étudiant va se sentir pour la première fois véritablement indépendant.

e- L’habituer aux problèmes concrets des relations humaines.

f- Faire faire des économies à l’Etat.

Bien entendu, cette méthode ne peut être appliquée à toutes les disciplines. Toutefois, la plupart des Facultés et des Instituts ou Ecoles Supérieures peuvent l’adopter.

Par contre supposer qu’un stage de quelques jours ou de quelques semaines pourrait donner une expérience pratique suffisante serait s’exposer à des déceptions qui pourraient coûter cher.

 

XI- L’université et l’économie:

Le tunisien qui a la chance de visiter les laboratoires et les ateliers de nos institutions universitaires et même ceux de nos lycées et collèges techniques, se rend compte de l’extraordinaire possibilité de progrès technique et de développement économiques que ces institutions offrent à notre pays.

L’absence actuelle de coopération notable entre les institutions économiques et l’université résulte d’un manque total d’information concrète.

Ce manque d’information est particulièrement flagrant du coté des administrations aussi bien centrales que régionales, qui achètent par centaines de milliard, à l’étranger sans consulter les possibilités de nos institutions universitaires, comme cela se passe dans les pays étrangers.

Si cette attitude de l’administration venait à changer, nos universités recevraient des budgets dont elles ne rêvent même pas à l’heure actuelle et la capacité de nouveaux emplois en Tunisie serait étonnamment grande.

 

conclusion:

La Tunisie est certainement l’unique pays au monde, qui depuis son accession à l’indépendance a formé un grand nombre de diplômés universitaires et qui ne les a pas dispersés.

Plus vite, nous nous rendrons compte de l’existence chez nous de cette richesse inestimable, plus vite nous serons nous mêmes, chez nous, et fiers de l’être, et plus rapidement nous aurons une université à l’image de notre génis , capable de répondre aux aspirations de notre peuple et digne de notre histoire universitaire.

 

Des Industries a notre portée

Introduction:

1- Les Sciences Economiques et les Sciences Médicales ont plusieurs points communs. Elles traitent toutes deux de la matière et de l’esprit: que le traitement soit destiné à guérir une maladie, à la prévenir, ou à améliorer l’état de santé, il doit toujours tenir compte à la fois de la matière et de l’état d’esprit.

Ces sciences utilisent des recettes bien connues qui ont fait leurs preuves. Toutefois, il arrive que les recettes les plus éprouvées, appliquées à des personnes différentes, donnent des résultats différents : cette variation dépend de l’état général de la personne traitée, de sa volonté de coopérer et de ses antécédents c’est à dire de son histoire.

Ainsi, la Tunisie a fait un effort extraordinaire pour accélérer son développement. Les résultats sont déjà appréciables malgré les handicaps dressés par la philosophie de l’ex-colonisation. Le but de cette étude est de diagnostiquer ces handicaps, et éventuellement de suggérer des solutions.

L’Economie de la Médecine progressent par des théories, mais ces théories n’acquièrent droits de cité que si elles sont mises en pratique et donnent des résultats positifs, car elles pourraient échouer et entrainer des catastrophes si l’expérience initiale est faite à grande échelle, et sans précautions.

Malheureusement, les pays en voie de développement sont les champs d’expérience de prédilection des anciens colonisateurs, aussi bien en médecine qu’en économie. D’ailleurs, même s’ils sont de bonne foi, ils ne se rendent pas compte des traces négatives, profondes, héritées de l’époque coloniales, et les meilleures intentions peuvent aboutir à des échecs.

C’est pour ces raisons que dans cette étude j’ai essayé de traiter les problèmes économiques tels que je les ai rencontrés en Tunisie et ailleurs.

La situation chez nous n’est pas unique dans le monde. En fait, les maux diagnostiqués existent dans la plupart des pays ex-colonisés, même ceux qui ont acquis leur indépendance depuis plus d’un siècle comme en Amérique Latine.

Leurs  structures économiques rappellent étrangement celles de la Tunisie, alors même que la Tunisie possède des structures sociales et culturelles nettement plus développées.

2- L’étude qui va suivre suppose l’existence de trois données:

a- Une politique de distribution des revenus entre tous les citoyens, conforme aux principes de justice sociale et à l’option socialiste du régime.

b-Une économie planifiée, mais souple.

c- La croyance que le développement économique n’exclut pas l’existence de secteurs industriels de pointe, assurant l’entraînement et la dynamique de l’économie; ces secteurs pouvant se relayer indéfiniment.

3-En 6 mois, depuis la publication du décret d’application de la Loi du 27/4/72 qui encourage les investissement industriels en zones franches, une cinquantaine d’entreprises ont reçu l’agrément pour créer 8000 emplois nouveaux. Le tiers des capitaux engagés est tunisien.

Dès à présent, nous pouvons faire trois remarques:

a- Il suffit de promulguer une nouvelle loi pour que les usines commencent à « pousser comme des champignons ».

b- Il y a des tunisiens qui n’attendent que le moment favorable pour investir leurs capitaux chez eux.

c- Le choix de la Tunisie par les industriels étrangers prouve que les facteurs favorables pour l’industrialisation existent réellement.

Dès lors, on peut se demander pourquoi ces capitaux ne s’étaient pas manifestés auparavant -c’est à dire dans le cadre de la législation existante?

4- Ceci nous amène à poser trois questions principales, à savoir:

a- Quelles sont les industries susceptibles d’être créées rapidement, autant pour l’exportation que pour le marché local?

b- Quels sont les empêchements à la promotion de ces industries?

c- Quelles sont les réformes de structures nécessaires – et dans quels domaines – pour faire participer les 12.000 entreprises tunisiennes existantes à ce développement?

Le but de cette étude est de répondre à ces trois questions. Nous aurons par conséquent, trois chapitres.

Chapitre I

Des INDUSTRIE A NOTRE Portée

La Tunisie dispose d’une main d’œuvre relativement nombreuse, sans emploi. Cette main d’œuvre a un niveau culturel très valable et sait lire.

Elle est facile à former rapidement et désireuse de travailler : des industriels européens récemment installés en Tunisie m’ont confirmé qu’un ouvrier tunisien apprend un métier dans un temps beaucoup plus court qu’un européen.

Les salaires sont bas, puisqu’ils varient entre 10% et 30% de ceux de leurs homologues européens.

Le marché européen est à une heure d’avion. La distance est par conséquent négligeable. La taille de ce marché de 250 millions d’habitants est telle que les perspectives de la production industrielle tunisienne sont relativement illimitées. ( voir à la fin de l’étude les tableaux d’importation de la France, de l’Allemagne et des U.S.A.)

Mais comme les tunisiens disposent de peu de capitaux, les industries qui conviennent le mieux sont celles qui emploient le plus grand nombre de personnes avec le minimum d’investissement. En outre, ce minimum doit être le plus faible possible afin de permettre à un grand nombre d’entrepreneurs de créer leurs propres affaires.

Il s’agit, en fait, d’industries qui peuvent commencer par le stade artisanal, mais capables d’évoluer très rapidement et sans à-coups dus à des exigences financières.

A ce sujet, il est utile de rappeler qu’en France, 2 millions de personnes sont employées dans l’artisanat , contre 2.8 millions de personnes dans l’agriculture

– aux U.S.A. 3.3 millions sont employées dans l’agriculture et 95% des fermes emploient 1 à 2 personnes, dont le propriétaire.

Nous allons examiner rapidement la plupart des industries qui répondent à ces critères.

1- La confection:

Ce n’est pas un hasard si plus de 80% des nouveaux agréments accordés par l’Agence de Promotion des Investissement sont relatifs à l’industrie textile et particulièrement à la confection de vêtements.

L’unité de production peut commencer par une seule machine qui coûte moins de 200 D. Un chaîne de production industrielle comprend de 10 à 17 postes de travail dont le coût moyen réel, en divises, ne dépasse pas 200 D. par poste.

Lorsque la production est destinée à l’exportation, la récupération des devises investies ne doit pas se faire en plus d’une année.

Les technologies de fabrication, de gestion et de commercialisation, sont relativement faciles à acquérir au point de vue du temps et de l’argent, sans que leur coût puisse dépasser les 3% du chiffre d’affaires.

Cette industrie exige une main d’œuvre très nombreuse, et elle est la plus mal payée dans le monde entier. C’est pour cela que certains pays, tels que Singapour, ne permettent plus aux étrangers de s’y adonner.

Toutefois, pour la Tunisie, la confection doit servir d’appât aux industriels européens. Les succès financiers rapides qui ne vont pas manquer de se manifester dès l’année prochaine, sensibiliseront les étrangers et les induiront à investir dans d’autres secteurs. Ils serviront aussi à faire connaître la bonne qualité de notre main d’œuvre.

Mais là, doit s’arrêter le rôle de la confection. Une fois les résultats atteints, c’est à dire dès l’année prochaine, cette industrie devra être réservée aux tunisiens, surtout que les avantages fiscaux sont accordés pour 20 ans.

Il est aussi très important de savoir que la miniaturisation des ordinateurs, et la baisse vertigineuse de leurs prix, incitent les américains et les européens à chercher des solutions pour automatiser la confection et éliminer ainsi la presque totalité de la main d’œuvre.

De telles usines existent déjà pour les blouses en papier plastifié, où un seul ouvrier fabrique 2 millions de blouses par an, comme cela existe dans une usine en France. Mais la Tunisie a encore une décade devant elle pour dépasser cette industrie. Il est par contre grand temps d’ouvrir toutes les portes pour que cette industrie nous rapporte plus de devises que le tourisme.

Rappelons que les U.S.A en ont importé en 1972 pour 741 millions de dinars, l’Allemagne pour 323 millions de dinars, la France pour 130 millions de dinars.

Enfin, ce qui vient d’être dit s’applique à la bonneterie et au tricotage industriel qui est l’industrie textile la plus simple et la plus accessible aux débitants. Quant au tricotage domestique, il convient parfaitement à la Tunisie. Le prix en devises d’une machine à tricoter, varie entre 30 et 70 Dinars C.I.F. « Tunis ». Ces machines sont de plus en plus perfectionnées et peuvent réaliser des ches-d’œuvre.  Les touristes qui nous rendent visite se laisseront certainement tenter par nos tricots et lanceront le mouvement d’exportation.

2-L’électronique et l’électroménager:

Pour fabriquer un poste de radio, émetteur ou récepteur, une télévision, un appareil téléphonique ou une machine à calculer électronique, le prix de l’outillage de base ne dépasse pas une trentaine de Dinars.

Pour contrôler leur qualité, il est nécessaire d’avoir un oscilloscope dont le prix débute à 60D.C.I.F.Tunis. Il suffit d’un seul appareil pour toute une chaîne de montage.

Comme c’est une industrie qui emploie également une main d’œuvre nombreuse, les grands fabricants Japonais et Américains se sont installés dans les pays en voie de développement, tels que Taiwan, Indonésie, Corée du Sud, Singapour etc…

L’avantage de cette industrie est que les salaires y sont plus élevés que dans le textile, et le marché est pratiquement illimité. De plus, elle utilise un grand nombre d’ingénieurs, qui non seulement sont polyvalents, mais encore sont capables de créer des nouveautés technologiques et par conséquent, aptes à s’installer à leur compte dans leur propre pays.

Il y a donc toutes les chances que cette industrie participe au développement réel du lieu où elle s’installe.

Cependant, les précautions à prendre sont au moins de 2 sortes:

1-Les royalties ne doivent pas dépasser 3% du chiffres d’affaires.

2-Les inventions faites dans le pays doivent lui appartenir.

En Tunisie, l’expérience de la Société EL ATHIR doit être étudiée avec beaucoup de circonspection. En effet, cette société ne fabrique pas des téléviseurs et des radiorécepteurs à partir de pièces détachées. Elle se contente de monter des ensembles de pièces, et, de son propre aveu, n’augmente que de 15% la valeur ajoutée. Nous verrons, dans le chapitre II, certaines raisons qui l’ont amenée à n’être qu’un simulacre d’industrie.

En réalité, elle fait l’opposé de ce qui doit être fait dans un pays comme la Tunisie: elle importe des ensembles qui ont déjà absorbé le maximum de main d’œuvre, c’est à dire, des produits pratiquement finis.

Comme le monde de demain sera fait d’électronique et de chimie, la Tunisie doit accorder à ces 2 domaines une très grande importance.

La mécanique perd de plus en plus de terrain au profit de l’électronique.

L’exemple des machines à calculer est édifiant: les calculatrices électromécanique ne sont pratiquement plus fabriquées, les calculatrices électroniques les ayant remplacées en moins de 3 ans. Les machines à écrire vont certainement suivre le même chemin avant la fin de cette décade.

L’imprimerie elle-même, bastion de l’électromécanique, s’électronise à pas de géant. L’industrie textile suit la même voie, ainsi que la plupart des autres industries.

Toutefois, l’industrie électronique évolue très vite et la course pour l’élimination de la main d’œuvre est trop engagée pour que la Tunisie laisse encore passer le temps avant de s’introduire résolument dans le domaine de l’électronique.

Si la Tunisie tarde pour y prendre part, il sera trop tard pour commencer dans un domaine où seuls les capitaux et la haute technologie domineront et où, d’ici la fin des années 70, il y aura des machines électroniques pour fabriquer automatiquement les appareils  électroniques.

Comme le marché européen importe actuellement de l’Extrême-Orient une très grande partie des appareils électroniques usuels, la Tunisie peut se glisser dans ce courant, gagner plusieurs dizaines de millions de Dinars en devises par an, créer un grand nombre d’emplois et mettre un pied ferme dans l’étrier de la technologie de demain.

A titre indicatif, les U.S.A. ont importé en 1972 pour 1275 millions de dinars d’article électroniques électroménagers, l’Allemagne 467 millions de dinars en 1968, et la France 250 millions de dinars en 1972.

3-La chaussure:

S’il est courant qu’un cordonnier fabrique tout seul es paires de souliers, il faut par contre 120 postes de travail pour créer une chaîne de fabrication de chaussures.

Cette impossibilité de réduire le nombre des opération, exige une main d’œuvre nombreuse. C’est pourquoi les pays industrialisés importent de plus en plus leurs chaussures de pays moins favorisés. Vers les années 50 l’Italie était le plus grand exportateur mondial de la chaussure. Quand son niveau de salaire a augmenté, l’Espagne a pris la relève, et actuellement c’est la Brésil et d’autres pays du même niveau de développement.

La Tunisie exporte déjà des chaussures, mais ces exportations sont trop limités. Il est donc grand temps d’encourager cette industrie où l’emploi des appareils électroniques commence à poindre. Une tentative pour réduire de moitié les postes de travail est en cours d’essai aux U.S.A . Si elle réussit, les exigences en capitaux et en technologie dépasseraient les possibilités de notre pays.

Ajoutons qu’il y a encore le potentiel humain de la Chine Populaire, qui n’est pas encore entrée en jeu dans le commerce international. Le jour où la Chine entrera de plain-pied dans ce domaine, et ceci arrivera très probablement dans 5 ans environ, elle chaussera le monde, comme elle l’habillera.

La Tunisie peut et doit s’y préparer. Dès à présent, elle apprendra la métier et dans 5 ans elle exportera des produits de qualités, ayant déjà un marché stable.

Cette dernière remarque s’applique aussi à la fabrication des vêtements.

L’Allemagne a importé en 1968 pour 95 millions de dinars de chaussures, les U.S.A pour 440 Millions de dinars en 1972, et la France 59 Millions de dinars en 1972.

4-Les jouets:

La France a importé en 1971 pour 25 millions de dinars en jouets. Les U.S.A ont acheté pour 275 millions de dinars, la fabrication des jouets est avant tout une activité à tendance artisanale. Toutefois, il existe des sociétés qui emploient des milliers d’ouvriers, autant en Europe et aux U.S.A qu’au Japon.

La fabrication des jouets exige des investissements négligeable. Elle est surtout le produit de la main d’œuvre directe, de l’imagination, de l’esprit artistique et de l’amour des enfants.

L’investissement réel et nécessaire réside dans l’emploi des moyens d’information et de formation, tels que la télévision , la radio et les concours, ainsi que dans l’organisation des circuits de distribution.

La vulgarisation de l’électronique et du modelage du plastique est déterminante pour son épanouissement. L’Office National de l’Artisanat peut y jouer un très grand rôle.

5-L’imprimerie:

La différence entre un homme majeur et un mineur, c’est que le premier produit et consomme, et le deuxième se contente de consommer.

La Tunisie est actuellement consommatrice de francophonie. Par contre, la France qui lui exporte cette francophonie, sous-traite dans des pays non francophones les livres et les revues qu’elles réexporte ensuite en Tunisie.

En 1971, la France a importé pour 107 millions de dinars de livres et de revues, dont les 90% sont en langue française, rédigés en France et imprimés en Espagne, en Italie et même en Colombie.

La Tunisie qui impose l’enseignement de la langue française à tous ses citoyens, peut et doit participer à l’impression des livres et revues françaises.

Certes, l’investissement dans l’imprimerie est assez lourd, mais les facteurs positifs ne manquent pas:

a- La Tunisie dispose d’une centaine d’imprimeries qui sont restées rabourgries à l’exception de 2 ou 3 d’entre-elles. Elle posséde une école professionnelle pour cette spécialisation.

b- Les salaires dans « l’industrie du livre » sont, pour de raisons historiques, parmi les plus élevés d’Europe.

En 1972, en Allemagne, le salaire horaire moyen d’un ouvrier était de 9.31 D.M. – soit 1.500 D. -et le salaire mensuel moyen s’élevait à 1450 D.M.- soit 232 D.-(Cf.revue  » CARACTERE » de juillet 1973).

c- L’intrusion de la photographie ‘composition et tirage) et de l’électronique permet à de simples dactylos de devenir « composeurs » , et à de simples photographes d’apprendre la sélection des couleurs et la préparation des clichés Offset ou Typo (procédé A.P.R. etc …).

d- La proximité de l’Europe, et l’abaissement des taux de fret aérien qui facilitent l’impression des hebdomadaires.

A titre d’exemple, une imprimerie installée dans la ville de Câli (Colombie), emploie actuellement plus de 5000 personnes. Elle les exporte dans la plupart des pays d’Amérique Latine et commence à la faire en Europe.

En Tunisie où la base existe, il est probable qu’il suffit de faire une réforme fiscale adéquate, de libérer l’importation des machines, de renforcer les structures de l’Ecole de Bab El Alouj , et de comprimer les frais de transport international pour faire décoller cette industrie éminemment rémunératrice, puisque la masse salariale atteint 37% du chiffre d’affaires (Cf. »CARACTERE »juillet 73).

6-L’industrie alimentaire:

L’industrie alimentaire, et particulièrement la fabrication des pâtes, la pâtisserie, la biscuiterie, la confiserie, l’aviculture et la conserverie, présente de nombreux avantages:

1- La transformation de matières premières nationales.

2- L’emploi d’une main d’œuvre nombreuse.

3- Un investissement, par emploi, relativement raisonnable.

Malheureusement, cette industrie n’a pas pris l’essor escompté, cela étant dû à des raisons multiples, dont : l’octroi de monopoles, et la peur du sur-investissement. Or, l’existence d’une usine nouvelle n’est-elle pas l’une des conditions fondamentales de la stabilité des revenus des paysans, et par suite, du développement de cultures plus intensives donc plus rentables? Le monopole le plus préjudiciable à la prospérité de ces industries, est celui qui est exercé par l’Office des Céréales sur l’importation du matériel de boulangerie et de pâtisserie. Or, comme cet Office ne fabrique pas de machines, il s’est donc contenté de transférer le bénéfice de son monopole à une société italienne avec tout ce que cela peut comporter d’abus, autant dans les prix, que dans la qualité du matériel. Par contre, nous pouvons citer à l’actif de cet Office, la création d’écoles professionnelles de pâtisserie et de boulangerie. Il serait même souhaitable que de pareilles écoles soient crées à l’intérieur de la république.

Enfin, il est à signaler que la Tunisie importe pour 3 millions de Dinars de lait et de beurre. On peut se demander s’il ne serait pas plus sage de réserver une partie de ces devises pour subventionner l’élevage, particulièrement dans le Nord Est du pays. En effet, d’après M.WEYSS (Gouvernement Suisse), le problème du lait et du beurre en Tunisie est essentiellement une question de prix de revient qui n’est pas rémunérateur pour les éleveurs tunisiens.

7-Les bicyclettes:  

Il y a dix ans environ, j’ai vu à Tunis, de petits ateliers fabriquer des bicyclettes… d’occasion.

Aujourd’hui, à ma connaissance, personne n’en fabrique. Pendant la dernière décennie, la Tunisie a importé, en moyenne , une certaine de bicyclettes par an, à un prix moyen de 9 D.C.I.F. Tunis l’unité. En 1973, le ZAIRE exporte des bicyclettes aux U.S.A et l’Algérie en fait autant au Maroc et bientôt en Tunisie.

La Tunisie, elle, malgré de nombreux projets présentés au cours des années précédentes, continue à ne pas fabriquer de bicyclettes. Or, pour résoudre en partie le problème de transport, elle continue à importer des autobus dont le prix de revient C.I.F. Tunis du siège vaut entre 60et 100 bicyclettes. La Tunisie serait-elle donc revenue plus riches que les U.S.A. où, en 1972, il y a eu plus de bicyclettes vendues que de voitures ? Certes, les automobilistes n’aiment pas les « cyclistes » qui représentent un danger redoutable pour eux. Mais, il y a si peu d’automobilistes dans ce pays, que le problème ne peut être posé à cette échelle. Par ailleurs, notre pays a généralisé l’enseignement primaire, et investi sérieusement dans le secondaire. La centralisation des Lycées et Collèges dans les grandes villes entraîne l’appauvrissement des zones  rurales, à raison de mille (1000) dinars par élève qui quitte la campagne pour la ville. Comme la campagne ne peut pas supporter ces frais sans désinvestir, et par conséquent sans encourager directement l’éxode rural, il est grand temps de penser  à la bicyclette. Celle-ci, contrairement aux autobus, eut être fabriqué à 80% en Tunisie. Or, le prix de revient, hors taxes, d’une bicyclette moyenne varie entre 8 et 12 dinars. Par conséquent, le père de famille préfère acheter une bicyclette (qui devrait être exempte de la taxe à la consommation, comme l’autobus) et un trousseau plus cher que la bicyclette elle-même. C’est là un exemple concret du choix d’une politique économique conforme à la politique sociale déjà choisie.

8-D’autres industrie:

La promotion des industrie que nous venons d’examiner très rapidement, va entraîner la création d’autres activités industrielles que j’ai classées dans une autre étude, intitulée  » LA 3 éme INDUSTRIE ».

Il s’agit en fait, d’industrie complémentaires de fabrication de pièces détachées, qui entrent dans la fabrication de la plupart des objets industriels. Pour mémoire, nous allons en citer rapidement quelques unes.

A-L’industrie du plastique: Les spécialistes prévoient que vers 1980, la production mondiale du plastique dépassera en tonnage celle de l’acier.

En Tunisie, les sociétés qui achètent de l’essence à la raffinerie de Bizerte-construire par l’Etat tunisien – se contentent de la livrer aux stations de distribution, en encaissant des bénéfices nets annuels pouvant atteindre les 50% de leurs investissements. Elles devraient consacrer ces bénéfices à la création d’usines de matières premières de plastique ou de produits chimiques, tels que pesticides, engrais , colorant etc …

En outre, l’industrie des jouets, l’électronique, l’automobile etc… emploient une grande quantité de pièces en plastique moulées, thermo-formées ou injectées.

B- La mécanique de précision: L 3 éme industrie étant par essence capable de fabriquer de petites séries, fournira les industriels locaux en pièces détachées, d’une façon simple et sue commande.

C- La boulonnerie et la quincaillerie:  L’A.M.S. ne peut fabriquer d’une façon rentable que les grandes séries. Ainsi, nous continuons à importer des boulons par millions de dinars chaque année.

D- L’optique : L’industrie de l’optique est le résultat de l’ensemble des industries du verre, du plastique, de la mécanique de précision et de l’électronique. Comme c’est une industrie de précision, elle emploie un grand nombre de main d’œuvre sans exiger de grands investissement en capitaux.

Toutefois, la technologie y joue un grand rôle, et l’association avec l’étranger est d’autant plus souhaitable que les salaires dans cette industrie sont relativement élevés.

E- La réfrigération:  Depuis des années, la Tunisie fabrique des armoires frigorifiques et des comptoirs nécessaires à l’hygiène, et utilisés dans le commerce de distribution. Malheureusement, bien qu’ils soient des biens d’équipement, le fisc les considère comme des produits de luxe et leur impose la taxe à la consommation.

La rémanence fiscale aidant, cette industrie n’a pas pu prendre son élan.

Il est à remarquer que les appareils de chauffage ne sont pas considérés comme produits de luxe.

 

Concours D’INVENTION ET LA CONFIANCE EN LA TECHNICITé TUNISIENNE

Question

 

M Bechir Salem Belkhiria, si nous commencions par donner à nos lecteurs un aperçu historique du concours des inventions tunisiennes, comment l’idée vous en est-elle venue?

Réponse

L’idée d’organiser un concours scientifique et technique a d’abord fait son chemin sous forme d’interrogation: pourquoi nous ne voyons pad d’inventeurs en Tunisie? Nous nous sommes dit qu’il doit y avoir des inventeurs tunisiens qui sont inconnus. Cette hypothèse pouvait être vraie comme elle pouvait être fausse. Nous nous sommes posé cette question parce qu’en Tunisie nous avons encouragé l’enseignement qui est devenu chez  nous « une obsession ». Notre système éducatif a donné en effet des résultats dans tous les domaines sur le plan des diplômes et sur celui de la production; Toutefois la création dans le domaine scientifique restait inconnue. J’avais dit qu’objectivement il n’y a pas de raison pour que la création technologique et scientifique passe inaperçue. Par hypothèse, donc j’ai voulu vérifier pour m’assurer que nous avons, en effet, en Tunisie des inventeurs qui réalisent des créations techniques et scientifiques.

L’idée de lancer un concours pour vérifier cette hypothèse constituait pour moi le seul moyen de démontrer que le Tunisien est aussi intelligent et créateur que tous les créateurs et inventeurs du monde entier.

Le concours est donc pour moi une nécessité psychologiques parce que par mon travail je vis dans un milieu technologique et j’ai constaté que les techniciens ne sont pas appréciés à leur juste valeur.

Je me suis dit pourquoi cette ségrégation à l’égard des techniciens tunisiens? et c’était l’organisation du premier concours d’inventions tunisiennes. Sur le plan matériel, il était relativement modeste par rapport aux potentialités du pays, mais sur le plan psychologique il était une réussite psychologique incontestable.

Question

Comment avez vous procédé pour organiser ce premier concours et sensibiliser les chercheurs et inventeurs Tunisiens à participer à cette manifestation?

Réponse

Pour lancer le concours d’inventions, j’ai commencé par faire les contacts nécessaires avec les moyens d’information (presse écrite et audiovisuelle), et par sensibiliser les tunisiens et surtout les techniciens à participer et à encourager le lancement de ce concours. Toute la campagne de presse était menée à mes frais personnels. Il y avait une trentaine d’inventeurs qui présentaient des inventions diverses (machines-outils, des règles à calculer , par exemple la règle du calcul trigonométrique de M Ayadi et des appareils ménagers)

Depuis l’organisation du premier concours en 1975 les inventeurs ont été encouragés à faire connaître leurs inventions au public et aux entreprises qui sont appelées à adopter les créations tunisiennes. Nous devons rappeler aussi que le Président de la République a reçu tous les concurrents à la suite du premier concours pour leur remettre le prix. Depuis, nous avons voulu donner au concours un cachet et une dimension nationaux, mais les difficultés étaient plus importantes que nous l’avions pensé.

Depuis les inventeurs réclamaient toujours l’organisation d’un deuxième concours que nous avons pu tenir au cours de l’année 1979/19802.

Question

Comment avez vous organisé ce concours et que pensez vous des inventions présentés?

Réponse

Je dois vous dire tout d’abord que le concours est à 100% tunisien, en ce sens que les inventeurs sont tunisiens, ainsi que le jury qui est composé de professeurs, d’universitaires, de techniciens, d’ingénieurs et d’industriels. Tous les membres du jury ont rencontré un à un, les inventeurs pour avoir toutes les informations nécessaires qui touchent de loin ou de près à l’invention comme par exemple les conditions dans lesquelles l’objet a été créé, son utilité, ses spécificités etc…

En effet, le jury s’est réuni et a attribué les prix à ceux qui ont gagné.

Signalons à ce sujet que nous comptons remettre les prix aux lauréats du deuxième concours très bientôt .

Toutefois, il faut mentionner que XEROX- qui est l’une des grandes multinationales du monde, spécialisée dans le domaine du bureau- a fait un don de 2500 dollars pour encourager les inventeurs tunisiens dans le domaine technologique et scientifique.

Pour le deuxième concours il y avait une centaine d’objets en présence dont certains constituaient une nouveauté sur le plan international. Par exemple: ce rêve qui est devenu réalité, puisque depuis 20 ans les hommes de sciences et techniciens ont mis au point les capteurs solaires mais peu de tunisiens en sont informés. Aujourd’hui BSB a transformé le rêve en réalité. Il fabrique les panneaux solaires  » Shem-Cyett » pour chauffer l’eau de la maison ou de l’entreprise. En effet , Shem-Cyett est une création purement tunisienne. Madame Haouet, pour sa part, a inventé un appareil ménager électrique qui sert à fabriquer la malsouka à domicile selon un procédé mécanique qui a le mérite d’épargner le temps et de protéger les femmes des dangers des fours traditionnels. Le Jury a effectivement breveté cette invention et a décerné à cette femme un prix pour sa création.

Le plus important dans ce deuxième concours c’est l participation massive de l’université tunisienne qui se manifeste par la présence de l’ENSET (Ecole Normale Supérieure de l’Enseignement Technique).

L’Université Tunisienne avait en effet participé à ce concours en présentant de très grosses machines outils, des machines électriques, des appareils de mesure et mêmes des produits chimiques.

Après l’organisation du 2 éme concours, je me suis rendu compte que les tunisiens commençaient à faire confiance à la technicité tunisienne et aux techniciens tunisiens. C’est pourquoi les jeunes sont motivés pour poursuivre les études techniques. Il est vrai qu’autrefois la Tunisie ne manquait pas d’hommes. Les hommes étaient là, les moyens étaient aussi présents, seulement il y avait un handicap psychologiques qui a été ( et Dieu merci) éliminé par le biais du concours d’inventions qui est à mon avis devenu majeur et toutes les conditions ont été réunies pour qu’il devienne une tradition scientifique tunisienne.

Question

M Béchir Salem Belkhiria si vous compariez la Tunisie dans le domaine de la recherche scientifique et technologique aux autres pays arabo-africains , que diriez vous?

Réponse

Pa rapport aux pays arabes et africains, la Tunisie est le seul et unique pays qui organise ce genre de concours d’inventions. Objectivement je dois dire que la recherche technique et scientifique gagne du terrain en Tunisie qui est aujourd’hui fière du degré de savoir faire acquis par les jeunes cadres.

Toutefois si nous comparons les inventions tunisiennes à celle qu’on observe dans les pays développés, nous devons dire que c’est très modeste. Cela ne veut pas dire que la Tunisie manque de têtes bien formées, mais au contraire les responsables du Gouvernement ont voulu démontrer par l’organisation de ce concours que la Tunisie bourguibienne possède des gens bien formés à qui on peut faire confiance pour mener à bien notre développement comme ils avaient réussi à acquérir l’indépendance politique du pays sans aucune aide étrangère.

Question 

Que pensez vous des pays africains ou arabes qui procèdent à l’achat des usines clefs en main dans le but de développer l’économie et l’industrie nationales?

Réponse

A mon avis, les pays qui achètent les usines clefs en mains ne font pas confiance à leurs hommes et le pays ne peut pas se développer s’il ne compte pas sur les capacités et les moyens de son capital humain. L’important, j e le répète, sans jamais le dire assez, c’est de faire confiance à nos hommes et d’avoir confiance en nous mêmes pour toute action de développement. Comme la Tunisie a compté sur ses enfants et ses propres moyens pour arracher son indépendances, elle doit aujourd’hui compter sur ses potentialités humaines et matérielles, puisque l’homme fait la richesse mais la richesse n’a jamais fait l’homme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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